« Image-clé », c’est une série de courtes vidéos centrées sur un élément précis d’un film : une coupe, un mouvement de caméra, un fondu enchaîné… Tout détail peut devenir sujet de ce caprice sous forme de commentaire intime, par le réalisateur et monteur argentin Nicolas Longinotti. Aujourd’hui, l’absence d’un contre-champ décisif dans Starman de John Carpenter.
Sorti en 1984, deux ans après l’échec commercial de The Thing, Starman raconte l’histoire de Jenny Hayden (Karen Allen), et sa relation avec un extraterrestre qui prend la forme de son mari récemment disparu (Jeff Bridges). L’image-clé dont j’ai envie de vous parler, le détail que je retiens, est un plan – ou plutôt l’absence d’un contre-champ.
Dans la plupart des films sortis dans les années 1980, qui figurent de gentils extraterrestres, il y a souvent une scène similaire dans la résolution du récit.
L’extraterrestre qui part finalement vers sa planète, et l’humain qui assiste à cet envol vers le ciel. On pourrait parler d’une logique de l’adieu, tout à fait simple et organique au cinéma. Un champ-contrechamp entre le vaisseau qui décolle et le regard silencieux, à mi-chemin entre bonheur et chagrin, de celui qui voit l’alien partir pour ne plus jamais revenir.
Image-clé : une coupe dans « Qui a peur de Virginia Woolf ? »
C’est justement dans cette logique de l’adieu que John Carpenter fait quelque de chose de particulier, unique dans son genre. Mais pour comprendre cette décision, il faut parler du thème du film. Ceci n’est pas le récit d’un alien qui prend la forme d’un homme mort, mais plutôt l’histoire d’une femme qui doit surmonter la mort de l’être aimé.
L’arrivée de Starman dans sa vie n’est autre chose que la possibilité de pouvoir dire cet adieu. Après plusieurs jours sur la route, et après avoir vécu une histoire d’amour qui était vouée à finir, Jenny et Starman arrivent à l’endroit d’où décollera le vaisseau spatial qui ramènera l’extraterrestre avec les siens. On arrive donc au moment de l’adieu. La façon dont Carpenter filme cette séparation met en évidence l’idée qu’il ne s’intéresse pas au côté spectaculaire du décollage, mais plutôt à l’humain au coeur de son histoire.
Master class John Carpenter : l’horreur tranquille
On abandonne le champ-contrechamp en amorce pour un plan frontal. Le geste de Starman s’adresse à la caméra, comme si on était dans une vue subjective de Jenny. Starman, ou plutôt la réincarnation de Scott, s’éloigne de la caméra. Il se perd lentement dans le fond de l’image, se mixant avec les couleurs de l’horizon qui sont les mêmes que les siennes.
Il disparaît littéralement, dans la distance infranchissable de la profondeur de champ. On ne verra le décollage que dans un hors-champ d’une synthèse remarquable, construit sur un regard, un mouvement de caméra et un changement de lumière. C’est d’une simplicité totale, d’où sa force.
C’est le regard-caméra de Jenny qui fait de la caméra le vrai vaisseau. L’éclairage vire au blanc, et c’est par la rencontre de tous ces éléments que notre héroïne plonge dans la grâce du deuil.