
Her Story s’ouvre sur un déménagement chaotique – l’image colle bien à la peau de cette comédie enlevée, surprenante, qui déplace les clichés avec impertinence. Ce déménagement, c’est celui de Wang Tiemei (Song Jia), journaliste et mère célibataire, qui élève sa fille Wang Moli (Zeng Mumei), ado précoce au caractère bien trempé. Le jour où Wang fait la connaissance de sa nouvelle voisine Xiao Ye (Zhong Chuxi), artiste qui souffre de dépression, ces trois héroïnes en viennent à former une famille d’adoption…
Sous ses airs légers de film de copines, Her Story déploie un ambitieux chassé-croisé de personnages, dont le désir de liberté contamine la mise en scène. Enlevé, dense, le récit de Yihui Shao (B for Busy) assume une forme chorale romanesque, ponctuée d’ellipses temporelles, de climax émotionnels, de grands mouvements de caméra qui épousent les élans de ses héroïnes. Cette profusion pourrait frôler la surdose, si Her Story n’y opposait pas un subtil contrepoint comique. L’irrévérence de ses personnages s’incarne dans des dialogues piquants, des indices malins – comme la mention aux livres de la chercheuse féministe japonaise Chizuko Ueno.
Face à des hommes dépassés par les mutations de leur temps (un ex-mari pseudo déconstruit, un amant maladroit), Yihui Shao prend un vrai plaisir à mettre dans la bouche de ses héroïnes un discours sans tabou. Tout y passe : les injonctions contradictoires de la société chinoise envers les femmes, coincées entre traditionalisme et ambition, la honte du corps, les limites du couple hétéronormé. La grande force du film – et c’est sans doute ce qui l’a sauvé de la censure – est de s’emparer de ces sujets en esquivant le premier degré, les discours théoriques. Toujours un pas de côté, plus proche du burlesque que de la dénonciation frontale, Her Story semble inoffensif mais appuie toujours là où ça fait mal.
Her Story de Yihui Shao, 2h03, Tiger Pictures Entertainment, sortie le 9 avril