En France, les distributeurs achètent même les droits de ses films inédits (Violent Cop sort en 1998, Jugatsu en 1999). Vingt ans plus tard, Hana-bi reste son chef-d’œuvre. Si le film a de quoi désarçonner, avec sa narration en puzzle et ses sautes temporelles, il provoque surtout fascination et émotion. Au spectateur de recomposer le destin tragique du détective Nishi, interprété par Kitano lui-même. En plus de s’occuper de sa femme malade et de faire le deuil de leur enfant, il ressasse sa dernière chasse à l’homme qui a laissé un collègue tétraplégique et un autre à terre. L’épisode est relaté en flash-back. On est d’abord aux côtés de Nishi qui, au présent, porte toujours des lunettes noires. Alors qu’il observe une voiture de police, Kitano opère un léger zoom avant, comme pour signifier que l’esprit du personnage s’apprête à voyager. Au plan suivant, le souvenir s’est lancé. On retrouve Nishi sans lunettes, qui rejoint ses collègues en filature dans une galerie marchande. Il s’enquiert de l’état de son collègue Horibe : « Il est à l’hôpital, touché au ventre. » Le coupable est à quelques mètres seulement, affublé d’un survêtement bariolé qui l’impose d’emblée en élément perturbateur. Bientôt, Kitano coupe le son : l’hégémonie visuelle de la séquence en est encore renforcée, les corps et la violence, sublimés. Nishi a plaqué le tueur au sol et le sang coule, les deux font un roulé-boulé et le rouge s’étale, comme sur une palette. Puis l’homme abat un autre flic avant de finir une balle dans la tête : action painting. La peinture deviendra par la suite un moteur du récit puisque Horibe, convalescent, s’essaiera à la discipline avec talent. Et pour cause, le véritable auteur de ses tableaux étant… Takeshi Kitano.
« Hana-bi » de Takeshi Kitano
ressortie en version restaurée le 9 août (La Rabbia)