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François Bégaudeau
- Thomas Messias
- 2020-09-29
Dans Autonomes, en salles dès demain, François Bégaudeau sillonne la Mayenne et ses alentours, à la rencontre d’hommes et de femmes ayant fait le choix de s’éloigner du monde dit moderne. Objectif : vivre pleinement leur désir d’indépendance matérielle et intellectuelle, se tenir loin des normes et des circuits de distribution classiques. Un documentaire stimulant qui, se parant d’un fil rouge fictionnel farceur, interroge nos vies standardisées et nos envies de dénuement.
D’où vient cet intérêt pour le concept d’autonomie ?
C’est un sujet qui m’intéresse depuis longtemps. J’ai commencé à l’explorer dans les années 1990, quand je fréquentais le milieu punk rock. C’est un milieu qui essayait de s’auto-organiser, à la fois par décret politique et moral, mais aussi par nécessité, parce que les aides étaient rares.
Les gens que vous filmez sont à la fois mus par leur envie de vivre autrement et par leur incapacité croissante à continuer à vivre comme tout un chacun…
Pour la plupart de ces gens, il n’était plus possible de se loger en ville, de trouver un travail qui leur convienne, voire un travail tout court. À cela s’ajoute un goût pour le monde rural et le milieu associatif. Leurs choix se situent au croisement entre désir et nécessité, et c’est d’ailleurs grâce au mélange des deux que ça tient.
L’un des paradoxes de certains de ces parcours, c’est que pour accéder à une vie plus simple et moins encombrée, il semble nécessaire d’avoir un investissement de départ.
C’est la difficulté politique de la chose : ce n’est pas exactement accessible à tout le monde. D’abord financièrement, même si les gens que j’ai filmés sont généralement assez peu fortunés, et puis en termes d’information, d’accessibilité. La plupart des gens n’ont même pas la possibilité d’avoir conscience que de tels modes de vie existe. Il y a tout un tas de conditionnements sociaux qui entrent en jeu. La plupart des protagonistes d’Autonomes viennent d’une sorte de classe moyenne plus ou moins paupérisée, très dubitative vis-à-vis des modes de consommation actuels.
Le film est traversé par un unique personnage fictionnel, Camille, homme des bois ayant choisi de vivre la solitude et l’indépendance à leur maximum. Pourquoi ce choix ?
J’ai tourné ces scènes avec Alex Constant, qui est un comédien du coin et un ami, que j’avais rencontré sur le tournage de mon film précédent . Je ne savais pas à quel point cette partie-là allait s’intégrer dans le film, mais ma monteuse Élodie Fiabane m’a convaincu d’en faire un fil rouge.
Vous commencez en le filmant comme les autres, sans prévenir qu’il est inventé. Est-ce qu’il n’y a pas comme un coup de canif dans le contrat avec le public ?
Je me suis posé la question. Est-ce qu’il fallait que j’affiche clairement le dispositif dès le départ ? Dans le film, à partir d’un certain point, il devient de plus en plus clair que Camille est un personnage écrit de toutes pièces. Mais de toute façon, je ne trouve pas ça malhonnête. Je pense au contraire qu’il est toujours très honnête d’inviter le public à réfléchir à ce qu’est le réel au cinéma, à réaliser qu’au bout du compte, aucune image ne fait jamais preuve de rien, même si elle a le grain et la couleur du réel. Moi, en tant que spectateur, j’aime qu’on m’embrouille, comme chez Paul Thomas Anderson ou Kiarostami, qui était un grand embrouilleur de réel et de fiction.
Ce Camille est dépeint avec tendresse, mais vous brocardez aussi ses incohérences avec pas mal d’ironie. Est-ce une façon d’égratigner certains des autres protagonistes du film sans vous en prendre frontalement à eux ?
Je n’ai absolument aucune envie d’ironiser sur eux, parce que j’admire ces gens, qui ont un courage et des capacités que je n’ai pas. En revanche, le fil rouge fictionnel participe de l’idée selon laquelle aucun sujet ne mérite qu’on le traite sérieusement dans son intégralité. J’aime mettre de la drôlerie dans les choses, même quand je suis totalement dans l’adhésion.
Camille a une drôlerie intrinsèque, mais j’adhère à tout ce qu’il raconte. Quand il dit « je n’arrivais plus à supporter ma vie d’avant, je sentais que j’étais en apnée », ça me parle. Il y a aussi un côté enfantin dans ses séquences, comme si vivre dans une grotte ou chasser le lapin était un jeu. C’est comme lorsque, à la fin du film, je montre ces hommes dans leur hutte de sudation : j’ai filmé ça de façon très premier degré, parce que je trouvais ça juste beau.
Il y a plus d’un point commun entre Autonomes et votre roman Un enlèvement, paru fin août, dans lequel certains personnages (notamment un petit garçon) semblent refuser de vivre conformément à ce que le monde attend d’eux.
La famille d’Un enlèvement reproduit les gestes élémentaires de la bourgeoisie de toujours : assurer la descendance, la performance et la productivité. Ces gens veulent croître, et c’est ce que leur fils combat en donnant l’apparence d’être attardé scolairement. Même si le mot fait crier les gens, il faut aller vers la décroissance, vers une épure de nos quotidiens. Et c’est ce à quoi aspire ce petit garçon, tout autant que les personnages d’Autonomes.
Images : © Urban Distribution
Portrait : François Bégaudeau au 25ème Festival du Livre de Mouans-Sartoux, en 2012. (Licence Creative Commons)