FOCUS: Le cinéma de Céline Sciamma en 4 motifs

L’adolescence et ses émois violents, le chemin pour trouver son identité, la naissance du regard amoureux et artistique… À l’occasion de la sortie de Portrait de la jeune fille en feu, petit retour en quelques thèmes sur le cinéma de Céline Sciamma, dont la courte filmo témoigne d’une faculté à saisir avec sensibilité les vertiges intimes comme la force


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L’adolescence et ses émois violents, le chemin pour trouver son identité, la naissance du regard amoureux et artistique… À l’occasion de la sortie de Portrait de la jeune fille en feu, petit retour en quelques thèmes sur le cinéma de Céline Sciamma, dont la courte filmo témoigne d’une faculté à saisir avec sensibilité les vertiges intimes comme la force de ses héroïnes face aux injonctions de la société.

CHOISIR SON CAMP

Est-on plus fort en composant ensemble ou en s’armant seul? C’est une des questions que Céline Sciamma pose en faisant des terrains de sport des espaces symboliques où se manifestent les rapports de force genrés et sociaux. Dans le prologue de Bande de filles, la réalisatrice subvertit les codes du foot, sport réputé viril et bourgeois, en filmant le match d’une équipe féminine de football américain, sorte d’arène où se joue la force du groupe, sa violence autant que sa solidarité. Une tension qui résume bien la quête de liberté de Marieme (Karidja Touré), son désir insoluble de faire corps avec une communauté tout en traçant sa propre route. Cette hésitation entre esprit d’équipe et quête de soi se retrouve souvent dans le travail de la réalisatrice. Par exemple lors des scènes de natation synchronisée dans Naissance des pieuvres, saisies comme des épiphanies collectives auxquelles Marie (Pauline Acquart), grande timide cachée dans les couloirs de la piscine, voudrait participer pour être intronisée dans ce monde miroitant.  

CHANGER DE PEAU

« Chaque film est une machine à changer d’identité », disait Céline Sciamma à l’occasion de la sortie de Tomboy, dont l’héroïne, Laure, fillette à l’apparence androgyne, se prend au jeu de faire croire à tous ceux qu’elle rencontre qu’elle s’appelle Michaël. Dans ce récit d’apprentissage qui célèbre la fluidité des identités, la réalisatrice oppose à la société pleine de protocoles la subjectivité d’une enfant qui cherche à s’affirmer au monde tout en subissant la violence des normes. Devenir quelqu’un d’autre : c’est aussi le défi qui anime le personnage d’Adèle Haenel dans Naissance des pieuvres, qui endosse une réputation de fille facile pour se protéger. Ou encore Marieme dans Bande de filles, qui se réinvente constamment, tant en changeant son nom qu’en changeant de look, entre des sweats amples qui cachent ses formes à la perruque blonde qui lui permet d’incarner une autre féminité. Des costumes qui apparaissent de plus en plus comme des avatars qu’elle revêt pour échapper au destin que les autres veulent lui assigner.

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REGARDS DE BRAISE

Qu’il soit symptôme du désir ou vecteur de libération pour les personnages, le regard est partout chez Céline Sciamma. Ce sont les coups d’œil furtifs que les héroïnes s’échangent (ou n’osent pas) s’échanger entre elles dans Naissance des pieuvres, où un jeu de cache-cache fondé sur le flou et la mise au point éloigne Adèle Haenel et Pauline Acquart avant que leurs œillades réciproques abolissent la distance qui les sépare. Le regard est aussi celui que les personnages posent, inquiets ou impatients, sur leur avenir – comme dans Bande de filles, où Sciamma filme son héroïne en train d’observer la ville muette derrière des vitres pour figurer son désir d’ascension sociale. Dans Portrait de la jeune fille en feu, le regard prend une tournure ouvertement politique : en refusant de se faire peindre par Marianne, Héloïse rejette une logique patriarcale aliénante. Et lorsque Sciamma filme l’apprivoisement réciproque de ces deux femmes, leur dialogue intellectuel dans une habile chorégraphie de regards, il y a cette idée de leur offrir un espace d’affranchissement et d’égalité.

REVELATIONS

Dans Portrait de la jeune fille en feuNoémie Merlant interprète une peintre capable de saisir par des coups de pinceaux la vérité invisible de celle qu’elle dessine. Ce processus renvoie au regard de Sciamma elle-même, qui scrute ses actrices pour déceler leurs secrets et accompagner leur épanouissement. Dans Tomboy, le minois de la jeune Zoé Héran semble chaque fois redécouvert sous un nouvel angle – devant un miroir, en long plan frontal mutique dans la forêt- pour capter sa métamorphose intérieure, sa mue vers une nouvelle peau. Si les actrices font l’effet d’apparitions étourdissantes chez Sciamma, c’est aussi parce que la réalisatrice aime travailler avec des non-professionnels ou de nouveaux visages (Noémie Merlant, Zoé Héran), comme pour saisir la naissance d’actrices en train d’émerger sous sa caméra.

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Images: Naissance des pieuvres, Copyright Haut et Court; Bande de fille, Copyright Pyramide Distribution