
Les Tremblements de David Depesseville (Grand Prix)
Après être passé au long métrage en 2023 avec Astrakan, David Depesseville revient à la forme courte. Dans Les Tremblements, il imagine la réunion d’une fratrie en terre d’enfance, lorsque celle-ci se rend au chevet d’une mère mourante. Le cinéaste filme l’agonie de cette femme sans détour ni complaisance, c’est-à-dire sans minimiser le caractère éprouvant de la situation, l’impuissance et l’injustice ressenties face à la mort.
Le film tient sur une ligne fine, épurée, droite et sèche, en miroir à la pudeur qui cadenasse chaque membre de cette famille réunie, mais que l’on sent aussi disloquée. L’incommunicabilité est le grand sujet du film. Une voix off est là pour dire ce qui ne parvient pas à s’échapper de la bouche de ces hommes, des secrets que seuls les tremblements maladifs du personnage de Bastien Bouillon expriment par des gestes incontrôlés, comme une bombe à retardement prête à exploser.
Âpre et rugueux, le film fait mesurer le poids de la perte d’un être cher mais aussi du temps passé, de tout cet hors-champ qui se devine dans la douceur consolatrice qui navigue entre les frères et le père.

Les Habitants de Maureen Fazendeiro
C’est une charmante ville de la grande banlieue parisienne, fleurie et verdoyante. Dans une cuisine cossue, une dame prépare une tarte aux myrtilles. Dehors, les maraîchers cultivent la terre, le vent fait frémir les feuilles des arbres. C’est sans doute le début de l’été et la pellicule rend grâce à l’organicité des éléments. En off, une mère écrit à sa fille. Dans ses lettres, qui composent la bande sonore des Habitants de Maureen Fazendeiro (la fille à qui ses mots sont adressés), on apprend qu’une famille de Roms vit dans les environs. Alors que la mairie de la commune voudrait les expulser, que le racisme ambiant s’exprime, l’autrice des lettres leur prête attention, leur apporte des vêtements et noue une relation avec eux.
Nous ne verrons jamais les visages ni n’entendrons la voix de ces nouveaux habitants, et l’illusion d’une cohabitation tranquille est maintenue à l’image. Le dispositif du film est brillant et le film saisissant précisément parce que l’absence de ces gens ne dit que trop bien l’invisibilisation dont ils font l’objet.
Avec Les Habitants, Maureen Fazendeiro charrie des sentiments contraires et contrastés, et nous met face à des dilemmes intimes et politiques éminemment cinématographiques sur la puissance du regard, ce qu’il occulte ou révèle.
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The Morning de Meis Vranken
Dans Sleep (1963), Andy Warhol documentait sur plus de cinq heures le sommeil d’un dormeur. Avec The Morning, la Néerlandaise Meis Vranken enregistre le réveil de plusieurs protagonistes qui sont aussi ses ami·es, des membres de sa famille. Sa démarche ainsi que son intérêt pour ce geste aussi banal qu’universel rappelle la malice et la curiosité d’une Agnès Varda.
Remontant le cours de l’histoire pour ressusciter, via des archives, cette époque sans machine où les dormeurs et dormeuses étaient réveillés par de véritables personnes, la cinéaste documente la manière dont le réveil a évolué au cours des époques en même temps qu’elle brosse le portrait de ses proches et envisage leur rapport au matin comme un rapport au monde.
Le film est à l’image d’une chambre mal rangée, débordant d’idées et d’envies éparses. Rarement le sommeil n’aura paru si moite, collant, le réveil matinal si poisseux et l’injonction à se lever si autoritaire. Dans La Maman et la putain, Jean-Pierre Léaud disait que le cinéma était fait pour apprendre à vivre et apprendre à faire un lit. Ode à l’oisiveté, The Morning apprend lui aussi à le faire pour mieux le défaire et s’y blottir.
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