Dans son premier docu, Serendipity, qui sort en exclusivité chez mk2, l’artiste plasticienne Prune Nourry filme son combat contre le cancer du sein en entremêlant archives de ses projets d’inspiration anthropologique et séquences intimes de sa chimiothérapie. Elle livre une chronique à l’équilibre délicat, toujours pudique.
BON PLAN: TROISCOULEURS vous fait gagner des places pour l’avant première du film, le 21 octobre au mk2 Bibliothèque à 20h00. Une projection suivie d’une performance artistique, le « Cocktail Procréatif »
Tous les détails ici: https://www.mk2.com/evenements/avant-premiere-serendipity
Pourquoi avoir intitulé votre documentaire Serendipity, un terme qui désigne le fait de trouver quelque chose que l’on ne cherchait pas initialement?
J’aimais l’idée que ce concept, à mi-chemin entre l’art et la science, traverse le film, lui aussi situé entre le parcours médical et mes précédents projets artistiques. Cette définition renvoie également au hasard et à l’intuition, qui caractérisent à la fois la recherche d’un artiste et celle d’un scientifique. Le film s’est construit petit à petit, de façon imprévue, en découvrant des liens étranges entre mes différents projets passés et les traitements que j’étais en train de subir dans l’instant présent, puis en les reconnectant entre eux pour former un fil rouge. D’où l’importance du montage, qui a permis de faire naturellement ces échos entre passé et présent. Par exemple, à l’époque où j’ai filmé une femme en train de faire congeler ses ovocytes parce qu’elle avait un cancer du sein, je ne savais pas que j’aurai plus tard de la chimio, et que je devrais congeler mes œufs moi aussi.
Comment avez-vous concilié votre nouvelle identité de patiente à celle de vidéaste?
Jusqu’ici, je travaillais plutôt en me cachant derrière la caméra, mes projets avaient une dimension objective, presque anthropologique. Si j’ai accepté de retourner la caméra sur moi avec Serendipity, c’est parce que cela m’a semblé nécessaire pour être sincère. Mais je ne vois pas ce film comme un autoportrait: je voulais lui donner une dimension plus universelle, qui puisse aider des femmes qui traversent la même chose que moi. Il y a aussi eu un moment de bascule pendant le film, quand j’ai accepté l’idée qu’en tant qu’artiste on ne peut être que subjectif. Me dire «action» à moi-même en prenant la caméra en main m’a permis d’être dans une forme de proaction, d’éviter la dépendance. Non pas en contrôlant la maladie, mais en me l’appropriant. L’une des idées importantes du film, c’est aussi que la médecine a tendance à nous penser comme des morceaux de corps, alors qu’en réalité nous sommes aussi un corps lié à une âme, à une histoire. Cet ensemble, proche de la médecine holistique, orientale, me parle plus.
Agnès Varda apparaît lors d’une séquence très tendre dans laquelle elle vous aide à couper votre longue natte. Est-ce que son travail, ou celui d’autres artistes plasticiens et réalisateurs, vous a inspirée pour le film?
J’avais cette natte depuis des années, et c’était devenu un symbole de la faire tous les jours. Devoir soudainement la couper était un vrai rite de passage, qu’Agnès m’a aidée à traverser. Mais nous n’avions pas prévu de filmer ce moment amical partagé ensemble ni de le mettre dans le film. Et à l’époque Agnès ne savait pas qu’elle-même avait la même chose. Parmi les gens qui ont joué un rôle, même sans le savoir, dans la naissance de Serendipity, il y a aussi Laurie Anderson, une artiste plasticienne américaine qui m’a inspirée avec son film Heart of a Dog, mon ami Darren Aronofsky m’a dit: «Tu as cette chance d’être artiste et de pouvoir transformer ce que tu vis en quelque chose de créatif; prends la caméra et filme ce que tu traverses.» J’ai suivi son conseil, et il est devenu producteur du film.
Serendipity est aussi l’histoire d’un combat: vouliez-vous transmettre un message de lutte à travers ce film?
Le film porte en tout cas l’idée d’un combat contre la maladie, mené sans agressivité, avec une part de lâcher-prise, difficile mais nécessaire. C’est aussi pour ça que je mentionne les «warriors» à la fin du film, qui renvoient à la symbolique des Amazones, cette tribu mythique de femmes, dont on ne sait pas si elle a existé, qui se coupaient le sein pour mieux manier leur arc.
Qu’est-ce que cette première expérience de cinéma vous a apporté par rapport à votre travail de plasticienne?
J’ai compris que, ce qui m’intéresse, c’est la façon dont on peut fixer l’éphémère d’un projet à travers l’image, grâce à la vidéo. Mon prochain projet au long cours, c’est Terracotta Daughters. J’ai déjà beaucoup d’images, mais j’ai vraiment envie d’immortaliser ce défi : comment archiver et protéger les images sur une période aussi longue, pour témoigner des différentes transformations d’un pays comme la Chine sur vingt ans?
DEUX ÉVÉNEMENTS EXCEPTIONNELS POUR DÉCOUVRIR LE FILM
À l’occasion de la sortie de Serendipity, mk2 vous convie à deux événements dédiés au film. Le dimanche 20 octobre de 15 heures à 17 heures, dans les murs du mk2 Grand Palais, se tiendra une conférence interdisciplinaire pour fouiller les grandes thématiques du film (médecine narrative, sérendipité, procréation, résilience…) en compagnie de la réalisatrice, de scientifiques et de médecins. Cette série d’interventions sera ponctuée d’extraits du film qui, lui, sera présenté en avant-première au mk2 Bibliothèque le 21 octobre, à 20 heures, en présence de Prune Nourry. Cette projection sera suivie par une performance artistique : le cocktail procréatif.
Serendipity de Prune Nourry, Art House (1h14), sortie le 23 octobre