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Elina Löwensohn, reine de queer
- Romain Le Vern
- 2018-02-27
En 1980, Elina Lowensöhn, 14 ans, quitte son Bucarest natal pour s’épanouir aux États-Unis. « J’ai changé de pays et de culture. Toutes les filles avaient des boyfriends ; tous les garçons, des girlfriends. Moi, en Roumanie, je n’avais pas de copain. À 16 ans, j’ai fait mon premier stage de théâtre, j’ai embrassé mon premier garçon ; je n’étais pas amoureuse, mais j’étais heureuse que quelqu’un m’embrasse. Le théâtre est devenu mon pays et je suis devenue punk. » Une fois installée à New York, Elina saisit la mégapole comme le lieu de tous les possibles. « Tu ne connais personne, tu rencontres quelqu’un, et cette collision provoque tout. » Elle trouve avec sa coloc que son voisin fait trop de bruit et découvre que, tiens, il s’agit d’Iggy Pop. Le metteur en scène de théâtre Travis Preston lui présente un certain Hal Hartley. Coup de foudre tout feu tout flamme. Avec lui, Elina brûle le cinéma indépendant américain des années 1990, le temps d’une choré hommage au Bande à part de Jean-Luc Godard dans Simple Men (1992). Une coupe à la Louise Brooks, du Sonic Youth, et hop !, Quentin Tarantino, ébloui, s’en inspire pour Pulp Fiction.
Inconsciemment, Elina flirte déjà avec le queer, elle croise Huppert avec sa perceuse dans Amateur (Hal Hartley, 1994) et attire l’attention de la Deneuve qui, dans les toilettes du Lutetia, lui avoue son admiration. « Étant roumaine, j’avais une étrangeté, mon accent intriguait. » Nos extraterrestres préférés veulent communiquer avec elle : Steven Spielberg la choisit pour La Liste de Schindler (1994), David Lynch produit Nadja (Michael Almereyda, 1994), film de vampires dans lequel elle tient le rôle principal, et David Bowie lui confesse son amour pour Damien Hirst sur le tournage de Basquiat (Julian Schnabel, 1997). « Il me parlait aussi de sa collection de papillons. C’étaient de beaux moments, mais un instant suspendu. »
Fuyant les productions calibrées comme les sirènes hollywoodiennes, Elina trouve refuge quelque part entre les États-Unis et l’Europe. « À cette époque-là, j’ai attiré des personnalités très différentes comme Philippe Grandrieux pour Sombre (1998), ou Jude Law qui m’a choisie dans une liste pour La Sagesse des crocodiles (Leong Po-chih, 1998). » Bertrand Mandico tombe amoureux, révèle son potentiel queer au gré de courts hallucinés (Notre-Dame des hormones, 2015). « J’aime me transformer d’un film à l’autre. Récemment, je suis heureuse d’avoir fait une femme SDF dans Suite armoricaine de Pascale Breton, comme une artiste pistolero dans Laissez bronzer les cadavres d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Je suis à ma place dans les métamorphoses. »
BELLE BIZARRE
Dans Les Garçons sauvages, Elina change de sexe et s’impose comme la patronne queer. « Avant, quand on est plus jeune, on essaye de préserver une image. Maintenant, je peux me grimer pour un rôle. Je m’abandonne plus. » Yann Gonzalez, qui vient de la diriger dans Un couteau dans le cœur, l’a bien compris ; le plasticien Tom de Pékin, aussi. Pour ce dernier, elle a participé à une série d’œuvres autour d’un poème d’Alfred Jarry. « Je serais très curieuse de voir Tom réaliser un film d’animation érotique. Il dessine souvent des hommes en cagoule dans des paysages, ça pourrait être très beau. » Une question nous brûle les lèvres : désormais, quelles métamorphoses attendre d’Elina ? Deux nouveaux objets-monstres de Mandico, « tournés en cachette » : un premier au titre encore inconnu, shooté à New York en plein été façon cinéma-guérilla, dans lequel elle joue une chanteuse éventrée « dont les viscères flottent dans le ciel et chantent ». Et un second, Ultra pulpe, tourné avec la team des Garçons sauvages, dans lequel elle incarne une réalisatrice de films de SF-gore et érotiques que s’apelerio… Joy d’Amato ! Cette année, Elina enchaînera le prochain Marie Losier (« J’y joue une femme des neiges qui chante. ») et le coup d’essai de Chiara Malta (« L’histoire d’une jeune réalisatrice hantée par mon image d’actrice dans Simple Men. ») Sans oublier le prochain projet long de son Mandico, « un western organique où je jouerai… un homme ». Fais gaffe, la Huppert, « le » Lowensöhn pourrait définitivement s’imposer comme la queen des queer.