À Orihuela, un village du sud-est de l’Espagne, court un bruit : certaines femmes de la famille d’Ana auraient « l’eau en elles ». Lorsqu’une tempête éclate, celles-ci seraient vouées à être englouties, comme appelées par la rivière qui déborde. On fait bien sentir à Ana (Luna Pamies) qu’elle pourrait être la prochaine de cette obscure lignée de disparitions, elle est alors entourée d’un climat de suspicion… Mais bon, en attendant, c’est l’été ; elle est attirée par un garçon et elle profite de ses amis.
Elena López Riera : « Au-delà de la croyance, ce qui m’intéresse c’est la transmission »
Grâce à une friction constante entre le surnaturel et le quotidien, Elena López Riera arrive à rendre compte du caractère mouvant et insaisissable de la rumeur, que l’on sent sourdre dangereusement dans chaque plan ensoleillé. La cinéaste qui, comme dans ses précédents courts métrages Pueblo et Las Visceras, filme dans le village dont elle-même est originaire et dont elle s’approprie les mythes, capte à travers Ana le sentiment d’une jeunesse qui doit continuer à vivre avec un héritage trop lourd à porter. Pour les anciennes du village qui se racontent face caméra, il s’agit d’un maléfice touchant une famille ; et bientôt, Ana.
Si on est plus terre à terre, ce serait plutôt la crise climatique léguée à toute une génération – dans les deux cas, c’est terrifiant. Ce qu’il y a de très beau dans le film, c’est la fascination de la réalisatrice, malgré cette menace aquatique, pour les moments d’insouciance, qu’elle saisit en suspens, comme des fuites. Un groupe d’ados qui zonent, un regard amoureux à l’écart de la bande, une cigarette partagée entre Ana et le copain de sa mère (le critique et coscénariste du film Philippe Azoury), qui lui conseille de bien s’en foutre, de cette histoire de malédiction aux relents sexistes… El agua est un envoûtant film de vacances, au sens où Ana prend congé de ce dont on les accable, elle et les femmes de sa famille – et ce même si la tempête finit quand même par arriver.
Dans de sublimes scènes de nuit frappées par l’intensité du gabber, dans lesquelles des jeux de lumière blanche lui donnent l’allure d’un fantôme, Ana disparaît parfois dans un clignotement. Cette échappée, Elena López Riera ne la réserve pas qu’à la jeunesse. Le film est aussi marquant parce que la mère d’Ana et cet homme avec qui elle sort ont finalement un trajet semblable à celui de sa fille. Lors d’une séquence de bar, eux aussi semblent tout oublier par la force de leur attraction, le temps et les vieilles légendes en premier.
El agua d’Elena López Riera, Les Films du Losange (1 h 44), sortie le 1er mars