« Au départ, l’idée, c’était vraiment de se marrer. » Avec un mélange de spontanéité désarmante et de timidité d’adolescente, Doria Tillier feint la légèreté pour évoquer sa première expérience sur grand écran. À la fois scénariste et rôle principal féminin, la comédienne de 30 ans joue gros avec cette histoire d’amour tordue, provocante et cynique qui règle ses comptes au mythe du grand amour. Durant quarante-cinq ans, on suit Sarah aimer éperdument Victor (Nicolas Bedos), écrivain minable en route vers le succès, et ce malgré les vexations, les tromperies et le poids du temps qui passe. « J’aime les gens qui ne s’excusent pas. Sarah avance, ose, et, même si elle est bourrée de défauts et qu’elle a sûrement tort de rester avec cet écrivain, ce n’est pas une victime. Elle a décidé que, malgré tout, il serait son grand amour, alors elle s’y tient. On peut ne pas être d’accord avec elle, mais c’est ça qui nous intéressait : raconter l’histoire d’un couple insupportable qui s’aime à sa façon. » Recroquevillée dans l’impressionnant fauteuil en rotin façon Emmanuelle qui trône au milieu du salon de son petit appartement parisien, l’actrice défend avec conviction – mais aussi avec une pointe d’inquiétude quant au ressenti du public – les outrances de cette tragi-comédie au ton sardonique, parfois osé voire vulgaire, souvent amer, forgé par le duo au fil d’improvisations quotidiennes. « Quand on est ensemble, on imagine des situations, des dialogues, on joue des scènes pour s’amuser. C’est là que Sarah et Victor sont apparus. » Entre Doria et Nicolas, c’est une histoire qui dure – depuis plusieurs années. Un incessant ping-pong, une complicité matinée de séduction, une guerre des sexes ludique, parfois médiatique, à la source de ce long métrage. À l’écouter, on a l’impression étrange qu’elle et Nicolas ne font qu’un, alter ego réunis par un même humour ravageur, un « mauvais esprit » kamikaze, un goût du jeu permanent. « En ce moment, notre nouveau truc, c’est de faire comme si on était dans Faites entrer l’accusé. Je suis Frédérique Lantieri, et Nicolas joue les témoins d’une affaire sordide. On joue à se faire peur. »
ÂME SENSIBLE
Ce goût de la satire, la jeune comédienne l’a peaufiné tout le long de son expérience de miss météo sur Canal+ de 2012 à 2014, exercice périlleux dans lequel il faut savoir être pertinent dans l’impertinence. « Miss météo au Grand Journal, c’était tout ce dont je rêvais. À l’époque, si on m’avait demandé de choisir entre cet exercice de pur divertissement, rapide, précis, et un premier rôle féminin chez Scorsese, j’aurais choisi Canal+ sans hésiter ! » Chaque soir, elle joue des personnages improbables, de Monica Bellucci à Marie-Krystal, la cagole du Sud, et fait passer avec une décontraction désarmante les pires grossièretés et vacheries face à des invités tantôt amusés, tantôt médusés. Un plaisir enfantin du déguisement et du gros mot qui jure avec son allure de mannequin. « Comme je suis très grande, on me remarque tout de suite. C’est mon moyen d’occuper l’espace ! » explique-t-elle, en tortillant ses doigts, l’air gêné. Se revendiquant tout autant comédienne qu’auteure, Doria rêve aujourd’hui d’un seul en scène, elle fourmille de projets tout en sachant que « personne ne l’attend vraiment ». Tandis que résonnent, en fond sonore, sur un tourne-disque vintage, les airs déchirants des Parapluies de Cherbourg, qu’elle ne peut s’empêcher de fredonner, on comprend que l’humour provoc de Doria est peut-être, avant tout, une armure. « J’ai du mal à être naturelle. J’ai besoin d’un texte, d’un rôle. Sur le tournage, c’était plus facile pour moi d’être Sarah à 70 ans avec du maquillage et une perruque que la Sarah de 30 ans, plus proche de moi. » Face à un Nicolas Bedos fidèle à son image médiatique de séducteur hâbleur narcissique et névrosé, Doria révèle avec cette prestation protéiforme un jeu plus nuancé, plus émouvant aussi. Une insolence fragile qui pourrait bien lui ouvrir grand les portes du cinéma français.
« Monsieur & Madame Adelman »
de Nicolas Bedos
Le Pacte (2h)
Sortie le 8 mars