Dogman de Matteo Garrone : aux abois

Après une comédie sur la télé-réalité (Reality, 2012) et un conte baroque au casting international (Tale of Tales, 2015), Matteo Garrone revient sur les terres napolitaines et mafieuses qui firent son succès il y a dix ans avec Gomorra. Avec cette fois un récit à l’os, un chemin de croix d’une simplicité biblique. Son antihéros,


Après une comédie sur la télé-réalité (Reality, 2012) et un conte baroque au casting international (Tale of Tales, 2015), Matteo Garrone revient sur les terres napolitaines et mafieuses qui firent son succès il y a dix ans avec Gomorra. Avec cette fois un récit à l’os, un chemin de croix d’une simplicité biblique. Son antihéros, incarné par l’attachant clown triste Marcello Fonte, a d’ailleurs quelque chose d’un saint ou d’un idiot dostoïevskien. Pas grand, très brun, le regard doux et le sourire enfantin, Marcello toilette des toutous de toutes tailles dans une bourgade balnéaire décrépite. Ses voisins l’aiment bien : il faut dire que, avec son allure de Buster Keaton transalpin tout droit sorti d’un conte néoréaliste de Vittorio De Sica, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Il a le dos voûté de ceux qui courbent trop souvent l’échine, une fille qu’il emmène plonger dans les eaux peu poissonneuses du coin et un meilleur ami infréquentable : Simone (Edoardo Pesce). Accro aux coups de poing et à la poudre blanche, cet ex-taulard terrorise tout le quartier sur sa bruyante moto. Y compris le pauvre Marcello qui, dealer à la petite semaine, croit bien faire en tolérant tous les caprices du caïd cocaïné, acceptant même de prendre son tour en prison. Jusqu’où la loyauté pour une brute épaisse est-elle tenable, physiquement et moralement ? L’idée est annoncée avec humour dès la première scène de Dogman, dans laquelle le toiletteur tente de brosser un molosse qui lui montre ingratement les crocs. Appliquée aux humains, ça donne une mécanique dominant-dominé entre voyou et victime semi-consentante, un crescendo de rancœur implacable mais humain, car non manichéen, à la fois étouffant et respirable, car troué de salutaires bouffées burlesques. Jusqu’à son duel final, l’excellent duo d’acteurs forme ainsi un pendant noir et poisseux aux pitreries de Laurel et Hardy, bouffons tragiques au service d’une possible allégorie politique : celle d’une Italie laissée exsangue par les années Berlusconi.

: de Matteo Garrone
Le Pacte (1 h 42)
Sortie 11 juillet