Demetri Portelli, mise en perspective

Demetri Portelli n’a pas encore récupéré du décalage horaire lorsque nous le rencontrons, quelques heures après une conférence à La Fémis, école de cinéma parisienne. Mais son regard éteint s’anime dès qu’il évoque, avec une passion communicative, son métier. « En 2010, lors du boom du relief, j’ai sauté sur l’opportunité de devenir un stéréographe, autrement


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Demetri Portelli n’a pas encore récupéré du décalage horaire lorsque nous le rencontrons, quelques heures après une conférence à La Fémis, école de cinéma parisienne. Mais son regard éteint s’anime dès qu’il évoque, avec une passion communicative, son métier. « En 2010, lors du boom du relief, j’ai sauté sur l’opportunité de devenir un stéréographe, autrement dit le responsable du relief. La 3D est, pour moi, une évolution naturelle du cinéma. Nous avons deux yeux, donc pourquoi ne pas les solliciter tous les deux, avec une image pour chaque œil ? » Cette évolution, aussi naturelle soit-elle, impose son lot de nouvelles règles. « Je m’occupe de l’équipement, tout en conseillant le réalisateur et le directeur de la photographie. Je vous donne un exemple : traditionnellement, le directeur de la photographie doit donner, grâce à sa lumière, de la profondeur à une image qui sera plate. Or, en relief, vous avez d’office les informations liées à la profondeur, donc vous pouvez travailler la lumière autrement. » Demetri Portelli est devenu au fil des ans une référence dans le milieu, signant notamment le relief d’Hugo Cabret de Martin Scorsese (2011) et de L’Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet de Jean-Pierre Jeunet (2013), deux films considérés comme des mètres étalons en la matière. Une réputation qui n’a pas empêché le réalisateur Ang Lee de réserver à Portelli un accueil déstabilisant lorsqu’il l’a auditionné pour son nouveau film, Un jour dans la vie de Billy Lynn. « Ang m’a dit : “Tu ne connais rien au relief, Demetri. Personne n’y connaît rien. Il faut tout réapprendre.” Je ne crois pas qu’il ait tout à fait raison, mais j’adore son humilité, c’est très sain, comme il est très sain de continuer à faire évoluer notre médium. »

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NOUVELLES FRÉQUENCES

Et sur ce dernier point, Demetri Portelli a trouvé à qui parler avec Ang Lee, puisque, non content de tourner en relief, l’auteur de L’Odyssée de Pi a choisi la haute fréquence pour Un jour dans la vie de Billy Lynn, un nouvel outil qui enthousiasme Portelli. « On estime que l’œil humain pourrait percevoir 240 images par seconde en moyenne. Ce qui signifie qu’un film traditionnel, tourné et projeté à 24 images par seconde, est fatigant à regarder parce que votre cerveau doit compenser le manque d’informations pour reconstituer les mouvements. À l’inverse, un film tourné et projeté en haute fréquence, en l’occurrence, pour Un jour dans la vie de Billy Lynn, à 120 images par seconde, sied parfaitement à notre organisme. » La haute fréquence est également un atout pour le relief, les deux formats se montrant particulièrement complémentaires. « En relief, à 24 images par seconde, on ne peut pas faire trembler la caméra, ça crée des aberrations optiques qui peuvent causer des migraines. Mais à 120 images par seconde, l’image s’approche de ce que l’on perçoit dans la réalité, donc les tremblements ne dérangent plus. Désormais, tout est possible en relief. » Une impression de réel qui a contraint tous les corps de métiers à revoir leurs méthodes de travail. « On ne peut plus tricher comme on le faisait avant : le maquillage doit être quasi absent, il faut favoriser les vrais décors, nous avons dû faire un nouveau faux sang. Même le jeu des acteurs doit être retravaillé. On voit si bien le visage des comédiens qu’on décèle tout de suite s’ils mentent. On a une tradition d’un siècle à remettre en question. » Comme lorsque l’on chamboule de vieilles habitudes, la haute fréquence ne va pas s’imposer du jour au lendemain. « Un jour dans la vie de Billy Lynn est une démonstration de faisabilité. Le film n’aura pas une large distribution en relief et en haute fréquence, et je doute que vous puissiez le voir en France à 120 images par secondes. Mais je pense que les suites d’Avatar, qui seront tournées en haute fréquence, vont démontrer au grand public les bienfaits de ce format. » En attendant, entre deux projets, Portelli continue de sillonner les salons professionnels et les écoles de cinéma pour prêcher les vertus de ces outils. Une quête dans laquelle il a essayé d’embringuer Ang Lee. « Je lui ai suggéré d’écrire un ouvrage sur ces formats, mais il a refusé : “C’est trop tôt Demetri : ni toi, ni moi, ni personne ne sait encore vraiment ce vers quoi nous allons.” »

Un jour dans la vie de Billy Lynn
d’Ang Lee
Sony Pictures (1 h 50)
Sortie le 1er février