« Paprika » : comment le film culte de Satoshi Kon a imaginé le cauchemar de la technologie futuriste 

Près de vingt ans après sa sortie, le film culte de Satoshi Kon fait son grand retour au cinéma. L’occasion se pencher sur l’héritage déterminant du réalisateur japonais qui a inspiré Christopher Nolan et Darren Aronofsky.


Paprika de Satoshi Kon
Paprika de Satoshi Kon

Quand Paprika sort en 2006, Satoshi Kon, son réalisateur, n’en est pas à son coup d’essai. Perfect Blue, son premier film sur la terrifiante descente aux enfers d’une starlette en proie à un stalker, rencontre un succès mondial lors de sa sortie en 1997 ; Millennium Actress (2001) et Tokyo Godfathers (2003), ses deux œuvres suivantes, confirment la virtuosité de son travail, et sa capacité à naviguer aisément entre horreur et romance. Paprika, le dernier film qu’il achèvera avant son décès prématuré en 2010, reste néanmoins son œuvre la plus complexe.

Ambitieuse, déconcertante et vertigineuse, elle rejoue à l’infini tous les motifs chers à Satoshi Kon. Le rêve, son obsession ultime, y joue un rôle central. Adapté d’un roman de l’auteur Yasutaka Tsutsui, le film se déroule dans un futur proche, où une étrange machine, la DC-Mini, permet de pénétrer dans l’inconscient des individus pour enregistrer leurs songes. D’abord destinée à un usage thérapeutique, elle est rapidement dérobée par un mystérieux “terroriste des rêves”, qui s’en sert pour déclencher des cauchemars mortels et déformer la réalité.

Satoshi Kon y laisse éclater son amour pour la science-fiction dystopique, mais interroge aussi les développements technologiques galopants de son époque. « Les rêves et Internet permettent d’exprimer ce que la conscience refoule, non ?” glisse avec clairvoyance le personnage Paprika durant le film.

Inception
Inception de Christopher Nolan © Warner Bros. France

Une postérité MAL COMPRISE ?

En découvrant Paprika aujourd’hui, il est difficile de ne pas penser immédiatement à un autre film culte, qui lui fait étrangement écho : il s’agit bien évidemment d’Inception, le long-métrage de Christopher Nolan, sorti aux Etats-Unis et en France en juillet 2010, seulement quatre ans après le film de Kon (et un mois avant le décès de ce dernier), qui s’intéresse lui aussi à l’intrusion dans les rêves. 

Si les deux films prennent des directions radicalement différentes en termes d’intrigues – Paprika explose en un tourbillon sensoriel, tandis que Inception s’en tient à son scénario millimétré de thriller d’espionnage -, ils présentent néanmoins des plans et des idées très similaires, que les internautes n’ont pas manqué de mettre en parallèle. Christopher Nolan n’ayant jamais admis l’influence directe de Paprika sur son oeuvre (il soutient que l’idée d’Inception est née durant ses années d’études), certains cinéphiles ont même été jusqu’à l’accuser de plagiat – un reproche auquel, à ce jour, le réalisateur n’a encore jamais répondu.

Perfect Blue
Perfect Blue © Splendor Films

Étonnamment, Nolan n’est pas le seul réalisateur occidental à avoir été accusé de piocher dans le travail de Satoshi Kon sans le créditer. Black Swan, le grand film de Darren Aronofsky, qui revisitait en 2010 le ballet du Lac des Cygnes, a également été comparé à Perfect Blue, avec lequel il présente des similarités troublantes, aussi bien en termes d’intrigue que d’images – les deux héroïnes partageant même un prénom similaire : Mima dans la version japonaise, Nina dans le film américain. 

À LIRE AUSSI : 5 séries à ne pas manquer en avril

Malgré ces ressemblances, Aronofsky a lui aussi minimisé l’influence du travail de Satoshi Kon sur son film, expliquant que ses principales sources d’inspiration étaient l’œuvre de Tchaïkovsky et le roman de Dostoïevski Le Double. Pourtant, le réalisateur américain a maintes et maintes fois exprimé son admiration pour son collègue japonais. Pendant un temps, il a même nourri l’idée d’adapter Perfect Blue, allant jusqu’à acheter les droits du film et recréant – avec la bénédiction de Kon – l’une des scènes de l’animé dans son film Requiem For A Dream. 

Le père de la science-fiction moderne ?

En dépit de son influence indéniable et de l’ombre portée de son travail sur les plus grands films de notre époque, le nom de Satoshi Kon reste encore largement méconnu du public occidental. Pour le réalisateur français Pascal-Alex Vincent, qui lui consacrait en 2021 un documentaire posthume intitulé Satoshi Kon, L’illusionniste, ce manque de reconnaissance est en partie dû à l’échec commercial de ses films au Japon. “Satoshi Kon était en avance sur son temps à bien des égards”note-t-il en interview. “C’est un cinéaste qui essaie beaucoup de choses, en totale liberté. La liberté coûte cher, c’est ce qui fait que ses films n’ont pas été des triomphes au box-office.

Paprika, rappellent les collaborateurs de Satoshi Kon dans le documentaire de Pascal-Alex Vincent, reste sans aucun doute l’œuvre la plus radicale du réalisateur, l’aboutissement d’une décennie de réflexions autour de la mémoire et de l’identité, mais aussi une prouesse technique qui inspire encore de nombreux cinéastes. “Sans [le travail de Satoshi Kon], Neo n’aurait peut-être jamais pris la pilule rouge, et la furie post-Matrix de films hollywoodiens s’intéressant à une réalité subjective – Fight Club, Inception, Requiem for a Dream –  ne serait peut-être jamais tombés dans le terrier du lapin jusqu’à nos écrans”, avançait le journaliste Alex Denney pour Dazed il y a déjà dix ans. 

Paprika nous le démontre : bien avant Black Mirror, le cinéma de Kon était déjà prophétique, et a su anticiper très justement les bouleversements identitaires que la technologie entraînerait, ainsi que notre fascination pour ces métamorphoses. “De la fiction est née la réalité”, conclut l’un des personnages de Paprika à la fin du film, durant le (presque) dernier dialogue de Kon au cinéma. En tant que réalisateur, quel plus beau cadeau laisser derrière soi ?

Paprika de Satoshi Kon (Sony Pictures Entertainment, 1h30), ressortie le 16 avril

À LIRE AUSSI : Les 5 films d’animation de 2025 qu’on attend le plus