Intrigues à tiroirs, personnages insaisissables… Claude Chabrol savait nous envoûter en laissant planer le doute, comme le prouvent les cinq films majeurs des années 1990 et 2000 qui ressortent bientôt en salles et en coffret DVD.
Cet article fait partie d’un dossier consacré au cycle « Claude Chabrol, suspense au féminin ». Retrouvez tous nos articles ici.
Le réalisateur de Masques cachait bien son jeu. L’image du Chabrol rigolard et bon vivant ne doit pas faire oublier son obsession pour la nature humaine dans ce qu’elle a de plus trouble. L’apparente simplicité de sa mise en scène recèle toujours une implacable précision et un art de placer le spectateur face à une réalité complexe, mouvante, dérangeante. Célébré pour sa peinture des faux-semblants de la bourgeoisie, en particulier à travers ses films des années 1960 et 70 (La Femme infidèle, Les Noces rouges), Chabrol montre que, quelle que soit sa classe sociale, on peut avoir envie de se cacher, que ce soit par honte, comme Sophie (Sandrine Bonnaire), la bonne de La Cérémonie qui dissimule son analphabétisme, ou par jeu, comme Victor et Betty (Michel Serrault et Isabelle Huppert), le tandem d’escrocs de Rien ne va plus.
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Et d’ailleurs, quel lien unit ces deux-là ? Sont-ils amis, amants, parents ? Idem dans La Fleur du mal : le tendre lien qui unit Michèle et François (Mélanie Doutey et Benoît Magimel) ne serait-il pas incestueux ? Dans le petit monde chabrolien – un cinéma de personnages -, les êtres ne livrent jamais tous leurs secrets. Cette incertitude nourrit un subtil suspense mais relève aussi d’une morale : la frontière entre le Bien et le Mal est trop floue pour ranger des individus, fussent-ils criminels, dans l’une de ces catégories.
« Dès lors que l’on observe ses semblables avec empathie, les repères ne tardent pas à se brouiller »
Les deux héroïnes de La Cérémonie (Bonnaire et Huppert, encore elle) se vantent même d’aller « faire le Bien » en allant aider des paroissiens… juste avant de commettre un carnage. De même, la gentillesse de Mika (Huppert, toujours), la riche héritière de Merci pour le chocolat, semble un peu trop appuyée pour ne pas susciter la méfiance. Dès lors que l’on observe ses semblables, sans complaisance mais avec empathie et attention (André S. Labarthe avait justement intitulé son documentaire sur Chabrol « L’Entomologiste »), les repères ne tardent pas à se brouiller, ce qu’illustre de façon extrême L’Enfer, plongée vertigineuse dans le cerveau de Paul (François Cluzet), un homme rongé par la jalousie au point de perdre pied avec la réalité. Il n’est pas anodin que Chabrol, qui affirmait à longueur d’interviews qu’il n’avait pas d’ego, se soit adjoint les services d’une psychanalyste, Caroline Eliacheff, pour co-écrire trois des films figurant dans le coffret Carlotta. Ensemble, ils ont scruté les secrets de famille qui circulent d’une génération à l’autre (La Fleur du mal), l’humiliation qui peut faire naître un sentiment de haine (La Cérémonie) ou encore le rapport mystérieux d’un pianiste à son art (Merci pour le chocolat). Trois films qui témoignent de l’ambition folle du cinéma de Claude Chabrol : filmer l’invisible.
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Image de couverture : La Fleur du mal de Claude Chabrol