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Décryptage: « Ça » : retour sur un phénomène culte
- Adrien Dénouette
- 2019-07-16
Vous prenez toujours soin d’éviter les bouches d’égouts par temps de pluie ? Ne cherchez plus, vous appartenez à la grande famille des gamins traumatisés en 1993 par Ça. « Il » est revenu, la minisérie adaptée du roman Stephen King. Retour, à l’occasion de son remake au cinéma, sur la madeleine culte d’une génération de petits couche-tard.
Qu’il semble loin le temps où le dimanche rimait avec Chocapic devant le Club Dorothée et jour de répit précédé d’une soirée plus délicieuse encore, synonyme de devoirs reportés au lendemain, de films en VF sur TF1 et de baisse de la vigilance parentale. Ce samedi 16 octobre 1993, après avoir gobé votre Flamby devant Maman, j’ai raté l’avion (vu pour la sixième fois en VHS), vous avez zappé sur M6 en seconde partie de soirée. Mauvaise pioche: des clowns flippants, des ballons injectés de sang, et votre mère qui, comme par hasard, ne prend pas la peine de jeter un œil à ce que vous regardez avant d’aller se pieuter. Résultat: une nuit blanche, un dimanche à côté de vos pompes et du rab de crise d’angoisse pour les six semaines à venir. À peu de chose près, c’est le scénario vécu par un paquet de rejetons des années Mitterrand devant Ça, la minisérie de deux épisodes réalisée en 1990 par Tommy Lee Wallace. «J’étais avec ma meilleure amie, mes parents étaient sortis, et on s’est tapé la frousse de notre vie», raconte Juliette, journaliste, qui, du haut de ses 10 ans, faisait ce soir-là partie des 15% de parts de marché réunies par M6.
Presqu’un bide en comparaison des 20% d’audience raflés par ABC le soir de la première américaine (soit plus de 40 millions de téléspectateurs), mais, pour la petite dernière des chaînes françaises en clair, c’était déjà le jackpot. Ça sera régulièrement reprogrammé jusqu’en 2000, réalisant des scores très honorables, bien aidé par le bouche à oreille. «C’était un phénomène de cour de récré. Quand je l’ai vu, je connaissais déjà toute l’intrigue», confie Marc, 28 ans, employé à la Sacem. Il faut dire que le pitch avait tout pour plaire aux écoliers, avec son gang de kids lancé à la poursuite d’une créature métamorphe (prenant le plus souvent l’apparence d’un clown) qui les terrorisait depuis les égouts.
Bonne nuit les petits
Le succès de la minisérie s’explique en partie par le triomphe du roman de Stephen King publié en 1986 (1988 pour la traduction française), à quoi s’ajoute le ripolinage de l’intrigue, censé rendre le tout plus digeste afin d’amadouer les parents. Bingo: jugé inoffensif, avec son croquemitaine de Bibliothèque rose et ses giclures de ketchup, le programme s’en tire avec une mention «déconseillé aux moins de 12 ans» plutôt clémente aux États-Unis comme en France. C’était sans compter sur les bambins et le miroir grossissant de leur imaginaire; comme la petite Tara, aujourd’hui professeure de géographie à la Sorbonne. «Mon père me l’avait fait voir toute petite, ça l’amusait de me faire peur. J’associais le clown au sida, dont on commençait à parler dans les spots de prévention.» Troublante coïncidence: expurgés de la minisérie, les thèmes de l’homophobie et du V.I.H. apparaissent bel et bien dans le best-seller de King. Surgeon mineur des Griffes de la nuit (Wes Craven, 1985) et des Goonies (Richard Donner, 1985), Ça restera un phénomène pop sans descendance possible, le cadet stérile d’une décennie peuplée de monstres et d’enfants intrépides.
Dans son concept comme dans sa tournure, le téléfilm est en partie redevable de la série des Histoires fantastiques de Steven Spielberg, notamment pour sa tentative d’ouvrir l’étrange au jeune public. Reste que, malgré sa notoriété, il a fallu attendre 2017 pour que Hollywood – dont on connaît pourtant le comportement passablement charognard – en fasse un remake. Avec des yeux adultes, mis à part la performance de Tim Curry en Bozo sous acides et la B.O. de Richard Bellis, la minisérie a pris un sérieux coup de vieux. Nul doute que le lifting d’Andrés Muschietti, annoncé plus proche du matériau d’origine (autrement dit beaucoup plus violent, comme le laisse deviner son teaser viral), saura y remédier. Mais cette fois-ci, pas d’entourloupe: dimanche ou pas, si vous avez moins de 12 ans, ne vous risquez pas à le voir sans l’accord de maman.
Images: Copyright Warner Bros