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Darius Khondji, derrière le mythe
- Timé Zoppé
- 2018-12-18
8 mm, Darius Khondji (1968-1970)
« Ce sont des photogrammes de mes premiers films en 8 mm. Sur l’un d’eux, on voit mon père, sur un autre ma mère avec moi. Ils étaient très âgés quand ils m’ont eu. Dans mes premiers courts métrages, à l’adolescence, je me mettais souvent en scène en Dracula. Mon goût pour le cinéma me vient de ma grande sœur, qui a 8 ans de plus que moi et qui m’a emmené voir tous les films d’art et essai dans les années 1960 et 1970, et d’un de mes frères, qui faisait des films en 8 mm lui aussi et qui habitait en Angleterre. Il m’amenait des films de vampires à Paris quand j’avais 11-12 ans. »
Polaroid de New York, Darius Khondji (1977-1978)
« Ce sont des Polaroid de New York, dans les années 1970, à l’époque où je suivais des cours de cinéma à la New York University et de photo à l’International Center of Photography. J’adore la nuit, je faisais des balades nocturnes et je m’entraînais à faire des photos d’ambiance avec de longs temps de pause. C’était un peu comme prendre des notes d’une atmosphère. Comme je n’ai jamais vraiment réussi à écrire – j’ai froissé et jeté une tonne de brouillons –, je prenais des notes visuelles. J’ai fait tous mes premiers essais photos en Polaroid, que j’ai compilés dans beaucoup de livres
par la suite. »
Polaroid de Mauritanie, Darius
Khondji (1983)
« Quand je suis rentré en France après mes études, j’ai travaillé comme assistant caméra sur le tournage de Fort Saganne d’Alain Corneau dans le désert, en Mauritanie. À la tombée du jour, la lumière devenait parfois un peu fragile et belle comme ça. Mais j’étais surtout frappé par la présence des Mauritaniens, j’avais envie d’enregistrer les moments avec eux. J’ai fait beaucoup de Polaroid pour faire des tests d’images quand j’ai commencé à être directeur
de la photographie. »
Polaroid du tournage de Seven, Darius Khondji (1994)
« Ça fait partie des Polaroid d’ambiance lumineuse que je faisais pour moi ou bien pour préserver la continuité – les polas servent aussi à ça, s’il faut retourner des plans. On a fait énormément d’essais de lumière et d’exposition avant. L’identité visuelle de Seven venait beaucoup de David Fincher, il a insufflé beaucoup de rigueur. Je suis allé dans son sens. Les directeurs photo sont crédités pour l’image mais, pour moi, la beauté de celle-ci vient des metteurs en scène. J’ai parfois vu l’héritage de films sur lesquels j’ai travaillé, comme l’image de Seven, qu’on retrouve dans True Detective – c’est vraiment magnifique. Mon propre travail est inspiré de cinéastes ou de directeurs de la photo du passé. C’est comme ça qu’on grandit, qu’on se développe. »
Photo de repérage pour My Blueberry Nights de Wong Kar-wai, Darius Khondji (2006)
« Pour My Blueberry Nights, j’ai fait des repérages avec Wong Kar-wai à travers les États-Unis. On a fait des Polaroid qu’il a ensuite édités dans un livre. Ça m’a donné une idée des décors et de l’espace… mais ça m’a aussi donné envie de faire d’autres films que celui que l’on a fait. J’ai compris avec le recul qu’il faut parfois pousser le réalisateur vers autre chose plutôt que toujours le conforter dans ses choix. Wong Kar-wai avait l’habitude de travailler avec le chef opérateur Christopher Doyle. Ils étaient extraordinaires ensemble, j’étais très admiratif. Je n’ai pas dû travailler avec lui de la même manière. Et puis, le tournage n’a duré que six semaines, et je n’ai pas pu faire l’étalonnage. Ça a donné un film “tutti frutti” : trop de couleurs et pas de rigueur. C’est un bonbon acidulé. Il faut un peu d’amertume. »
Darius Khondji et Nicolas Winding Refn sur le tournage de
Too Old to Die Young de Nicolas Winding Refn (2018)
« Je n’avais jamais vraiment fait de série avant, à part le pilote assez étonnant de The Devil You Know, une série de HBO sur la sorcellerie au XVIIe siècle en Amérique, produite et réalisée par Gus Van Sant, mais qui n’a malheureusement pas abouti car il s’est disputé avec la show runneuse était une expérience fantastique, une expérimentation sur la couleur ; il a tenu parole sur tout ce qu’il avait promis. Je n’ai pu faire que cinq épisodes sur dix, j’ai dû me libérer pour un film. Avec Nicolas, on est comme des frères, on est très proches. Il m’a même écrit une lettre d’amour très drôle qu’on peut lire à la fin du livre. »
:« Conversations avec Darius Khondji »
de Jordan Mintzer
(Synecdoche, 304 p.)