« Presence » de Steven Soderbergh : caméra fantôme

[CRITIQUE] Absent des salles françaises depuis 2018, Steven Soderbergh revient en force en revisitant brillamment le film de fantômes. Il ausculte, à travers le point de vue d’une mystérieuse présence invisible, les névroses d’une famille américaine fraîchement installée dans une vaste maison.


Presence de Steven Soderbergh
© Sundance Institute

Dès les premières minutes de Presence, qui montrent une famille américaine huppée visiter une grande maison vide en vue de l’acheter et de s’y installer, un mélange d’étrangeté et de proximité se fait ressentir. L’origine du malaise se révèle autant narrative que stylistique : les parents (interprétés par Lucy Liu et Chris Sullivan) et leurs deux enfants adolescents (joués par Callina Liang et Eddy Maday) sont filmés du point de vue d’un mystérieux spectre.

En revisitant ainsi le cinéma de fantômes à travers une caméra subjective qui sera notre œil durant l’intégralité du film, Steven Soderbergh renouvelle superbement les codes du thriller d’épouvante et offre une version toute personnelle du récit de maison hantée – le cinéaste s’est au passage inspiré d’une mésaventure qui est arrivée à son épouse et à lui, dans une maison de Los Angeles.

Si toute la famille renferme une infinité de névroses, dysfonctionnements et autres secrets, la présence invisible nichée au cœur du domicile va se concentrer sur la fille cadette, observée et suivie à la trace par ce très expressif fantôme, alors que le doute plane longtemps sur les sentiments et intentions de celui-ci.

Presence de Steven Soderbergh 2
© The Spectral Spirit Company

Et si le mal venait finalement d’ailleurs? En conjuguant suspense narratif et singularité formelle (la caméra, nerveuse et angoissée, devient un protagoniste à part entière), Soderbergh accentue la connivence affective entre le public et ces habitants inquiets. Le scénario, confié à David Koepp (auteur ayant travaillé avec Brian De Palma sur L’Impasse, Mission impossible ou Snake Eyes et avec Steven Spielberg sur Jurassic Park ou La Guerre des mondes), se révèle particulièrement habile pour multiplier les pistes interprétatives, superposant sources de tensions familiales, océans d’incommunicabilité et traumas sociétaux.

Au-delà de la virtuosité technique (on notera que la caméra subjective était tenue durant le tournage par Steven Soderbergh lui-même), Presence propose donc une auscultation originale d’un fait de société très actuel en exposant l’idée que les adolescentes américaines ne semblent à l’abri d’aucune menace. Grand formaliste qui expérimente les genres et les esthétiques depuis sa Palme d’or reçue en 1989 – à l’âge de 26 ans – pour Sexe, mensonges et vidéo, Soderbergh n’avait plus ébloui les salles de cinéma françaises depuis Paranoïa en 2018.

Mais ce convaincant retour de l’électron libre de Hollywood constitue d’ores et déjà l’une des meilleures nouvelles de 2025, d’autant plus que le réalisateur reviendra dans la foulée en salles, le 12 mars, avec un autre film intitulé The Insider, thriller d’espionnage avec Cate Blanchett et Michael Fassbender. Les obsessions et images de Soderbergh n’ont décidément pas fini de nous hanter…

Presence de Steven Soderbegh ( Dulac, 1h25),  sortie le 5 février