« Peaches Goes Bananas » de Marie Losier : l’amitié et la performance

Marie Losier (« Cassandro the exótico! ») filme la chanteuse Peaches, figure de l’electroclash et féministe, au gré de rencontres sur dix-sept ans. Une archive incandescente de l’amitié entre deux artistes insoumises.


Peaches Goes Bananas
© Norte

« Vaginoplasty, why do you ask me? Vaginoplasty, I keep it nasty. » Dans une adresse frontale à la caméra et en une scansion frondeuse, Peaches déclame les paroles de l’un de ses titres, « Vaginoplasty », hymne à son sexe dont elle explore les possibilités. Un préambule où s’affirme un rapport au corps joyeux, libre, qui va emporter le film dans un va-et-vient constant entre l’espace intime de la musicienne, pétri de vulnérabilité, et la sphère publique, électrisante et vorace.

Aux images récentes, tournées en 16 mm, d’une séance photo où Peaches se prête à des poses aussi dénudées qu’acrobatiques, Marie Losier adjoint l’enregistrement d’une interview dans laquelle l’artiste, aujourd’hui 58 ans, évoque l’inéluctable vieillissement du corps. Un collage sensible, à l’image de l’ensemble du documentaire où se dévoile un regard tendre sur Peaches. Regard que semble renvoyer la performeuse à la cinéaste débarrassée des normes et irriguée d’insoumission.

Peaches Goes Bananas est autant un portrait d’artiste que le récit d’une amitié, de la place que l’on fait progressivement à l’autre dans son propre désordre, des endroits qu’on le laisse approcher sans crainte. Dans son aspect composite, à la faveur d’archives de types et d’époques différents, le film trouve une forme bien à lui, témoin et compagnon d’une pensée, d’un corps et d’un art irréductibles.

3 QUESTIONS À MARIE LOSIER

Vous tournez toujours avec la même caméra Bolex ?

Oui ! Depuis dix-sept ans. Elle a quelques problèmes maintenant parce qu’il y a de moins en moins de réparateurs… Mais je ne me limite pas à cette caméra : dans le film, il y a un mélange d’archives, de vidéos tournées au téléphone et de pellicule de caméra au format 16 mm. J’ai fait suivant les moyens, les endroits et les rencontres.

C’est particulier, de tourner un film sur une musicienne avec une caméra qui n’enregistre pas le son…

Pour moi, le plus intéressant dans le cinéma, ce qui m’excite le plus, c’est la construction sonore à partir d’images sans son, de retrouver parfois des moments synchro qui sont très jouissifs. De construire une narration à travers des voix off et d’imaginer puis faire le bruitage. Il s’agit de créer toute la musicalité qui permet de développer mon imaginaire.

Vous montrez l’intimité de Peaches, notamment son lien avec sa sœur aujourd’hui disparue, Suri, qui était atteinte de sclérose en plaques. Elle vous a toujours tout laissée filmer ?

Elle ne m’a jamais rien dit. Un jour, elle m’a emmenée chez Suri, et ça a été immédiat : on est devenues très proches. Je n’ai jamais montré ni de- mandé quoi que ce soit sur le montage à aucun des artistes avec qui j’ai travaillé, il n’y a jamais eu de problème. Les gens que je filme savent exactement ce qu’on a filmé puisqu’ils se souviennent de ma présence. Et puis, on est amis, je ne leur cache rien, il n’y a pas de mauvaises sur- prises. La surprise, c’est de découvrir l’œuvre achevée.

Propos recueillis par Timé Zoppé

Peaches Goes Bananas de Marie Losier, Norte (1 h 13), sortie le 5 mars