Critique: « Liberté » d’Albert Serra

Une nuit de 1774, trois libertins s’adonnent à une série de jeux sexuels dans la forêt… Une débauche sensorielle qui fut l’une des expériences les plus radicales (et magistrales) du dernier Festival de Cannes. Trois ans après La Mort de Louis XIV, Albert Serra plonge une nouvelle fois dans l’histoire et dans un monde qui s’éteint.


Une nuit de 1774, trois libertins s’adonnent à une série de
jeux sexuels dans la forêt… Une débauche sensorielle qui fut l’une des expériences
les plus radicales (et magistrales) du dernier Festival de Cannes.

Trois ans après La Mort de Louis XIV, Albert Serra plonge une nouvelle fois dans l’histoire et dans un monde qui s’éteint. Trois libertins boutés hors de la cour puritaine de Louis XVI souhaitent exporter leurs mœurs en Allemagne, escomptant le soutien de l’éminent duc de Walchen (un Helmut Berger tout en immobilité souveraine, rappelant l’univers déliquescent mais ô combien majestueux de Luchino Visconti). Le temps d’une nuit, le groupe s’adonne à un catalogue épars de fantasmes, à l’écart de toute réprobation morale. Dans ce jardin nocturne où le vice triomphe de la vertu, on se caresse, on se fouette, on rivalise d’ingéniosité pour faire participer les végétaux à cette messe noire champêtre. Mais on fait aussi résonner les mots, poussant l’adage sadien jusqu’au bout – chez le Divin Marquis, c’est d’abord par l’oreille que l’on jouit, c’est-à-dire par le langage, la raison n’étant plus un obstacle à la passion, mais son habile prolongement.

C’est à cet endroit que le film réfute le mieux les intentions du porno mainstream. En quittant la salle, on ne sait plus trop si les scènes de sexe présentées étaient ou non explicites, excités non par des membres érectiles ou des poitrines généreuses, mais par des regards – regards ébahis de celui ou de celle en train de s’adonner à la fornication, ou regards transis du voyeur installé à distance derrière un arbre, offrant les seuls contrechamps à ces longs plans fixes licencieux. La cérémonie se veut donc à la fois charnelle et cérébrale, dépravée bien que savamment orchestrée, ode à la vie autant que célébration funéraire. Une galerie de personnages atrophiés et difformes copulent avec des corps de jeunes premiers : l’alliage de contraires fonctionne ici comme une résistance à la hiérarchie, une abolition de toutes les distinctions, dans une fête qui prendrait fin au petit matin, le réveil sonnant comme un rappel à l’ordre. Comme un poème aux allures d’utopie politique.

Liberté d’Albert Serra, Sophie Dulac (2 h 12), sortie le 4 septembre
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