: « Au bout du monde », l’un des plus beaux films de Kiyoshi Kurosawa

Reporter pour une émission populaire au Japon, Yoko est envoyée en Ouzbékistan avec son équipe de tournage. Dans ce pays dont elle ne connaît ni la langue ni les coutumes, elle va de rencontres ratées en déambulations hasardeuses, perd son chemin et ses certitudes. Avec Au bout du monde, Kiyoshi Kurosawa déplace sa quête de l’étrangeté


Reporter pour une émission
populaire au Japon, Yoko est envoyée en Ouzbékistan avec son équipe de
tournage. Dans ce pays dont elle ne connaît ni la langue ni les coutumes, elle
va de rencontres ratées en déambulations hasardeuses, perd son chemin et ses
certitudes. Avec Au bout du monde, Kiyoshi Kurosawa déplace sa quête
de l’étrangeté dans le réel et signe l’un de ses plus beaux films.

Des cinéastes japonais de sa génération, que l’on regroupe parfois sous le nom d’« école super 8 », Kiyoshi Kurosawa est celui qui a su le mieux s’affranchir des codes du cinéma de genre. Tandis que Hideo Nakata (Ring, Dark Water) reste assimilé à la J-Horror et Shin’ya Tsukamoto (Tetsuo, Bullet Ballet) au cyberpunk, le natif de Kobe a construit en une vingtaine d’années une œuvre libre et foisonnante, s’imposant comme un auteur qui compte sur la scène internationale. Sans doute parce que, chez lui, le fantastique, le thriller, la science-fiction sont toujours détournés de leur fonction première (faire peur, divertir), vidés de leurs effets commerciaux (la frénésie laisse place à la contemplation), utilisés comme prétextes pour éclairer les drames humains et sociaux. Il a d’ailleurs prouvé qu’il pouvait s’en passer : ses meilleurs films sont ceux qui s’approchent le plus du cinéma traditionnel, réaliste, comme Tokyo Sonata (2009) et Au bout du monde.

On retrouve dans ce dernier le thème central de ses œuvres précédentes, Avant que nous disparaissions et Invasion (2018) : le sentiment d’être étranger au monde, à l’autre, à soi-même. Sauf que, ici, pas d’envahisseurs venus d’une autre planète, mais une animatrice de télévision japonaise envoyée en Ouzbékistan. Face à cette culture dont elle ignore tout, Yoko se montre à la fois intrépide (elle part seule, à pied, dans des rues où elle finit par s’égarer) et craintive (elle fuit dès qu’on lui adresse la parole). C’est ce décalage que filme Kurosawa, suivant les impératifs du tournage dans le film, dans une suite de scènes tragicomiques (Yoko va pêcher, Yoko mange dans une cantine populaire, Yoko fait du manège) desquelles l’héroïne sort rarement grandie, mais dont l’accumulation dessine peu à peu un chemin initiatique. Ce qu’elle est venue chercher, et qui l’empêche de reculer, c’est une altérité totale, douloureuse, qui révèle son absence à elle-même et l’oblige à trouver sa voie.

En tournant le dos au surnaturel, Kurosawa éclaircit sa vision : les aliens existent déjà, sur notre planète, ils nous ressemblent et ne nous veulent, souvent, aucun mal. À chacun de traverser les frontières, géographiques et mentales, pour aller à leur rencontre.

Au bout du monde de Kiyoshi Kurosawa, Eurozoom (2 h), sortie le 23 octobre

Image : Au bout du monde de Kiyoshi Kurosawa – Copyright Eurozoom