On pensait qu’il ne verrait jamais le jour. Et pourtant : Ad Astra, le space opera mystique fantasmé par James Gray depuis des années, s’est bel et bien envolé vers les étoiles.
Mais l’ancien prodige du polar new-yorkais (The Yards, La nuit nous appartient) n’a pas simplement accompli son rêve de démiurge : il l’a prolongé. Derrière les apparats de la grosse machinerie pétaradante (Brad Pitt au casting, 90 millions de dollars de budget, une farandole de décollages, de vertiges spatiaux, d’explorations planétaires), Ad Astra est en effet un film halluciné, hanté, revêtant de bout en bout la consistance d’un songe d’enfant. D’un enfant plus précisément : l’astronaute Roy McBride (Brad Pitt), catapulté aux confins de notre système solaire à la recherche d’un père (Tommy Lee Jones) qui, croyait-il, avait définitivement quitté le monde des vivants.
Si l’on pense beaucoup à Télémaque, le jeune héros d’Homère prenant la mer en quête d’Ulysse, on songe surtout au précédent film de James Gray, The Lost City of Z, qui déployait dans le marécage amazonien un récit père-fils totalement symétrique. Alors ça veut dire quoi, être un fils, pour James Gray ? La réponse est formulée sans ambages dans Ad Astra : le fils, c’est celui qui est maudit. C’est celui qui vit dans l’ombre de l’autre tout en étant obligé d’assumer ses ambitions, ses erreurs, ses caprices. Malédiction de la filiation : chez Gray, les fils passent leur existence à se montrer à la hauteur des rêves des pères, avant que ces rêves ne referment progressivement leur mâchoire sur leur destin.
Cette malédiction, c’est aussi celle d’un cinéaste obsédé par ses glorieux modèles (le Coppola d’Apocalypse Now, le Kubrick de 2001 : l’odyssée de l’espace) et qui avec ce film exprime plus que jamais sa frustration d’enfant prodige. Très honnêtement, on n’imaginait pas Gray en mesure d’articuler autant d’aspirations mégalomanes. À l’arrivée, Ad Astra sublime pourtant toutes ces contradictions en épousant les contours d’une odyssée à la fois monumentale et intimiste, spectaculaire, à nulle autre pareille et pourtant toujours à la frontière du cinéma expérimental.
Crédit images : Twentieth Century Fox France