a attiré des millions de spectateurs dans les salles, mais n’a jamais reçu aucun César, aucun prix au Festival de Cannes. Comment expliquer cela ?
Pour le succès, il n’y a pas de mystère. À l’exception du cas Docteur Popaul [1972, ndlr], où c’est Jean-Paul Belmondo qui attire le public, ce sont à chaque fois des grands films qui, par leur sujet et l’ambition maîtrisée de Chabrol, touchent un large public et consacrent une œuvre populaire. Pour le manque de reconnaissance en France, sans doute est-ce dû d’abord à un souhait de Chabrol : faire le pitre pour éviter les questions. Mais cette réputation ne l’a pas forcément servi. Elle a certes imposé un personnage public sympathique et chaleureux, mais le milieu professionnel, lui, ne l’a pas assez pris au sérieux, peut-être dérouté par des films si nombreux et apparemment différents, n’y distinguant pas une œuvre en soi.
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Sur quoi repose la cohérence de cette œuvre ?
Sur sa mise en scène. Là est sa création propre : un angle de vue, un mouvement de caméra en léger rapproché, un raccord dans l’axe étrange, un travelling quasi invisible, une manière de dire un mot. Prenez l’un des plans les plus étonnants du cinéma mondial : à la fin de La Femme infidèle [1969, ndlr], le même plan combine un travelling qui s’éloigne de la mère et de son enfant et un zoom qui s’en rapproche ! Cela dit tout de l’incertitude du moment… C’est pour ce genre d’invention que Chabrol est unique, et son œuvre, cohérente : la question de la forme le passionne.
Peut-on essayer d’esquisser différentes périodes dans sa carrière ?
Difficile avec une œuvre si longue et si dense : cinquante-sept films en cinquante-deux ans. Plus d’un film par an ! Chabrol a démarré comme le vrai pionnier de la Nouvelle Vague, son premier réalisateur vedette, mais il fut aussi le premier à être si violemment rejeté avec Les Bonnes Femmes en 1960. Il a connu des échecs incroyables, mais n’a jamais cessé de tourner. Sa filmographie s’organise ensuite en deux « âges d’or » , correspondant à deux producteurs qui lui ont fait confiance et offert une certaine stabilité : André Génovès de 1967 à 1975, puis Marin Karmitz de 1984 à 2002 avec notamment La Cérémonie et Merci pour le chocolat. Mais il y a aussi des films extraordinaires hors de ces moments, comme Le Scandale, Violette Nozière, Bellamy…
Qu’est ce qui fait la force et la singularité de ce cinéaste ?
Un contrôle total, mais sans aucun autoritarisme ; l’amour des défis : dès que cela devient compliqué, voire impossible, Chabrol adore et trouve la bonne solution en quelques instants ; et l’idée qu’un tournage se doit d’être agréable et joyeux. Chabrol a toujours détesté les cinéastes maudits, ceux qui se plaignent et ceux qui se prennent trop au sérieux.
Chabrol disait : « J’ai trois masques, derrière lesquels je me cache. D’abord le masque de bon vivant, puis celui de vieux rigoriste, enfin celui de l’intellectuel. Je les mets les uns sur les autres. » Comment ces masques se manifestent-ils dans son œuvre ?
L’idée, d’abord, qu’il est trop important de tourner pour gâcher ce moment par la mauvaise humeur : ce plaisir de tourner se sent dans son œuvre ; la rigueur, ensuite, c’est la maîtrise de la mise en scène, au centimètre près, rien ne lui échappe ; l’intellectuel, enfin, c’est l’homme qui raconte sa vie et parle de ses films. A-t-on lu des livres de cinéma plus intéressants que les Mémoires de Chabrol ou des bonus de DVD plus intelligents que ses propres commentaires de séquences ?
Chabrol a beaucoup filmé les femmes. Quelles places occupent-elles dans sa filmographie ?
L’accusation de misogynie, qui a pu accueillir certains de ses premiers films, l’a troublé plus qu’il n’y a paru. Chabrol est un bon exemple, avec Éric Rohmer, d’une féminisation du cinéma : grâce à ses collaboratrices de plus en plus nombreuses, son intérêt à travailler avec des actrices (Isabelle Huppert, Sandrine Bonnaire, Marie Trintignant) en leur demandant de porter ses films, et l’émancipation que la « femme tueuse », par exemple, propose à la persona féminine. Il y a une quinzaine de femmes tueuses chez Chabrol, et, le plus souvent, des tueuses d’hommes : quelle liberté !
Chabrol d’Antoine de Baecque (Stock, 624 p., 32 €)
« À la (re)découverte de… Claude Chabrol », le 21 septembre à 20 h au mk2 Bibliothèque tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | – 27 ans : 4,90 € | carte UGC / mk2 illimité à présenter en caisse : 9 € | tarif séance avec livre : 32 € (* prix public du livre : 32 €)
Photographie (c) Julien Falsimagne