Clotilde Leguil : « Le toxique a changé de sens, en même temps que nous avons changé de monde »

Chaque mois, une personnalité invitée par mk2 Institut choisit trois lettres capitales – à trois mots – qui évoquent sa pensée. Reçue à l’occasion de la parution de son nouveau livre, « L’Ère du toxique. Essai sur le nouveau malaise dans la civilisation » (Puf), la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil, imprégnée de la pensée lacanienne et d’un travail au long cours sur l’éthique en philosophie, s’est prêtée à l’exercice.


0338db51 bc17 4dc0 a672 297160d798eb leguilclotildec2a9samuelkirzsenbaum2 copie

C comme consentement

« Dans notre monde post#Metoo, la question du consentement est au cœur des enjeux éthiques et existentiels de notre époque. Or, il n’y a pas de consentement éclairé. Voilà ce que je soutiens : que la vie amoureuse et sexuelle, le champ de l’intime ne relèvent pas du contrat, mais du désir et de la jouissance, que le consentement est une affaire de confiance et non de savoir et que c’est ce qui fait la beauté du consentement, y compris dans ses enjeux politiques. Le consentement est une expérience du sujet qui engage le corps. Pour autant, il est nécessaire de tracer une frontière entre l’expérience du “se forcer” et celle du “consentir”. Explorer cette frontière entre “consentir” et “céder”, c’est ce que j’ai voulu faire dans mon travail philosophique et psychanalytique, introduire des nuances, des degrés, et tenter de saisir ce que signifie de “se laisser faire” quelquefois jusqu’à oublier son désir. Car c’est seulement en entrant dans la complexité de l’expérience subjective que l’on peut rendre compte de la valeur de l’aphorisme “céder n’est pas consentir” ».

L comme Lacan

« Je suis d’abord philosophe de formation, et puis j’ai rencontré la psychanalyse lacanienne. Cela a été de l’ordre du kairos. J’ai aimé la façon dont Jacques Lacan a injecté un nouveau souffle dans la psychanalyse après Sigmund Freud. “Ne pas céder sur son désir” est un aphorisme qui permet d’interpréter notre actualité marquée par les égarements de la jouissance et la crise du désir. Comme si Lacan avait pu montrer, relisant Sophocle, Emmanuel Kant, le marquis de Sade et Albert Camus avant l’heure, que l’affaire de la révolte devait s’envisager depuis une distinction cruciale entre le désir et la jouissance. “Ne pas céder sur son désir” est une exigence éthique qui peut dans notre moment nous arrimer à notre existence. »

T comme toxique

« Si le terme de “toxique” est aujourd’hui sur toutes les lèvres, ce n’est peut-être pas pour rien. Le malaise dans la civilisation s’est formulé au temps de Freud en termes de pulsion de mort. Aujourd’hui, dans la langue concrète que parlent les gens, c’est à travers le mot de “toxique” que se formule le malaise. Parce que le “toxique” fait référence au corps, parce que le “toxique” fait référence au vivant, parce que le “toxique” fait référence aussi à l’angoisse. Le toxique a changé de sens, en même temps que nous avons changé de monde. Le “moment du toxique”, c’est le moment dans lequel nous sommes, comme si le trop de jouissance en était venu à faire apparaître le toxique de la jouissance elle-même. Au carrefour de l’écologie et de la vie intime, le toxique vient dire l’irrespirable de notre moment. C’est ce qui m’a conduite à chercher l’antidote. »

« Clotilde Leguil. Le “toxique”, nouveau malaise dans la civilisation. »

Rencontre modérée par le journaliste et essayiste Jean-Marie Durand (Philosophie Magazine), suivie d’une signature le 5 octobre, au mk2 Bibliothèque, à 20 h.

séance avec livre : 18 € | − 26 ans : 5,90 € | étudiant, demandeur d’emploi, porteur carte UGC/mk2 illimité : 9 € | tarif normal : 15 €

L’Ère du toxique de Clotilde Leguil (Puf, 240 p., 18 €)

Portrait © Samuel Kirzsenbaum