PORTFOLIO · Varda chez les Pointus

Cet automne, c’est « Viva Varda ! ». La cinéaste est en fête, à l’occasion d’une grande exposition que lui consacre la Cinémathèque française et alors que sortent trois livres sur son œuvre aventureuse. Cela nous a donné l’idée de revenir sur un lieu peu mentionné, mais primordial dans sa vie, à Sète, au bord de l’étang de Thau.


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L’artiste y a arpenté le petit quartier de pêcheurs qui a inspiré le titre de son tout premier long métrage, La Pointe courte (1956), portrait entortillé d’un joli coin et d’un couple qui se déchire. Réfugiée à Sète avec sa famille sur un bateau pendant l’Occupation de 1940 à 1943, elle en fait sa ville d’adoption, revenant souvent la photographier, la filmer, jusque dans Les Plages d’Agnès (2008), son autobiographie joueuse. On y est passés par hasard il y a quelques mois, et on s’est dit que c’était fou à quel point on sentait encore la présence de la cinéaste, photographe et plasticienne, sur le petit port, entre les ruelles étroites où sèche le linge et les cabanons de bois où traînent les chats – une traverse ornée d’une belle fresque colorée lui est d’ailleurs dédiée. Sa fille, Rosalie Varda (directrice de la société de production et de distribution familiale Ciné-Tamaris qui fait vivre les œuvres de ses parents et ambassadrice du catalogue mk2), nous a alors confié quelques-uns de ses souvenirs sétois, qu’elle commente.

« La Pointe courte, Agnès l’aborde avec la naïveté et la force de quelqu’un qui ne sait pas ce qu’implique un film. Elle attend longtemps qu’Alain Resnais accepte de faire le montage. Elle court après, et à force de ténacité il accepte. Resnais regarde les rushs et lui dit que son montage est quasiment là. Comme elle avait peu d’argent, elle avait fait peu de plans. À la suite du montage, ils ont voyagé ensemble. Et c’est comme ça qu’une histoire d’amour a débuté, une idylle qui a vraisemblablement duré deux ans. Lui était très cultivé, intellectuel. Agnès, c’était plus une humaniste. »

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Suzanne Fournier-Schlegel, Alain Resnais et Agnès Varda, montage de La Pointe courte, rue Daguerre, Paris, 1954 © Suzanne Fournier-Schlegel

« Avant le tournage de La Pointe courte, elle fait tout un travail préparatoire en tant que photographe. Ce sont ses planches-contacts. Quand elle est passée à la caméra, en 1954, le choix du cadre n’était pas un problème pour elle, c’était intuitif. Il y a quelque chose de très graphique dans ses photos. Je pense qu’elle aimait la matière, les objets de pêcheurs, les filets, le goudron, les charpentes. Elle a toujours été intéressée par les métiers manuels. Je pense que ça vient des moments où, à Sète, elle fréquentait la famille de la sculptrice et céramiste Valentine Schlegel, qui était beaucoup dans l’artisanat. »

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Agnès Varda, Chantier naval et bois découpé à la Pointe courte, photographies 1952-1953 et planches-contacts 1954 © Succession Agnès Varda

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Agnès Varda, Pêcheur à la Pointe Courte, mars 1954 © Succession Agnès Varda

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Agnès Varda, Les habitants de la Pointe Courte © Ciné-Tamaris

« Dans un passage fort de La Pointe courte, la caméra rentre dans la maison d’une famille veillant un garçonnet malade, qui mourra plus tard. On est presque dans le Néoréalisme italien, on entre dans une émotion qui nous prend aux tripes. Quand on suit le couple qui se déchire, joué par Philippe Noiret et Silvia Monfort, c’est plus abstrait, proche du style de Robert Bresson. Agnès riait en disant qu’elle avait vu très peu de films avant de réaliser le sien. Je crois que c’est vrai, elle allait surtout au théâtre [elle a été la photographe du Théâtre national populaire de Jean Vilar, ndlr]. »

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Photographe non identifié, L’équipe du film et les habitants du quartier © Ciné-Tamaris

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Dans Les Plages d’Agnès, une actrice interprète Agnès jeune à la Pointe courte, 2008 © Ciné-Tamaris

« Le retour à Sète, c’est une aventure amusante. Didier Rouget, qui était l’assistant d’Agnès, a proposé de faire un documentaire sur sa vie. Elle s’est prise au jeu en glanant ce qu’elle voulait bien partager. Elle a eu l’idée que, ce qui l’avait faite, c’étaient les plages, de la Belgique à la Californie. Pour ce film devenu Les Plages d’Agnès, elle a demandé à une actrice d’incarner une jeune Agnès en marinière – comme elle en portait pendant La Pointe courte. Sur la plage de Sète, elle s’est aussi mise en scène dans le ventre d’une baleine fantaisiste sur le sable – incarnant le cocon, la protection. »

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Jean-Loup Gautreau, Agnès Varda sur le tournage du film Les Plages d’Agnès, 2008 © Ciné-Tamaris

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Photographe non identifié, Louis Stein (chef-opérateur) et Agnès Varda sur le tournage de La Pointe courte © Ciné-Tamaris

• Exposition « Viva Varda ! » jusqu’au 28 janvier 2024

Viva Varda ! sous la direction de Florence Tissot (Éditions de La Martinière, 224 p., 39,90 €), le catalogue de l’exposition

Varda par Agnès. L’intégrale (Éditions de La Martinière, 576 p, 43,95 €)

Agnès Varda de Laure Adler (Gallimard, 296 p, 29,90 €)

Le cinéma d’Agnès Varda – Longs et courts (Arte, 60 €)

Image d’ouverture Agnès Varda, La Pointe courte, mars-avril 1953 © Ciné-Tamaris