La Condition humaine
« Comme son nom l’indique, cette image raconte que l’humanité rame dans une mer mouvementée et magnifique. Ca monte, ça descend, il y a des paysages, le monde est agité mais il vaut la peine d’être parcouru. J’ai commencé à faire des photos très jeune, à 13 ans, grâce à mon père qui m’avait donné son appareil photo Nikon. J’ai fait des milliers de photos argentiques. Jusqu’au moment où est arrivé le numérique, une magnifique révolution pour le cinéma, aussi bien que pour la photo. Je me suis formée très sérieusement, en faisant des stages Photoshop. J’ai commencé à créer des images que j’appelle « photo-peintures », parce qu’elles sont créées à partir de mes photos, d’éléments réels, mais complètement transformées par des montages, des effets de lumière fabriqués en numérique, des contrastes, une saturation, du nettoyage. J’aime ce paradoxe : on ne voit pas le trucage, mais la supercherie est bien là, et très technique. La réalité ne m’intéresse pas en photographie, ni au cinéma. Je fabrique des histoires, des tableaux qui sont des bulles de paradis ou des contes sur notre société. »
Mur orange rose violet
« Cette image est beaucoup retravaillée, sur une base existante. C’est un travail sur la matière, la désintégration des murs, le geste humain qui abîme. Mais cette image est une façon de montrer que la matière qui se dégrade devient parfois plus belle que ce que l’homme a entrepris au départ. Ce que j’aime, c’est voir la couche de la vie en-dessous. On distingue qu’il y a une épaisseur d’existence : d’autres choses se sont passées avant ; de l’orange, du rose, du violet, et tout en dessous, un crépit rougeâtre sur du blanc, et du sel blanc qui parcourt tout ça. C’est une sédimentation de la vie, qui nous dit que les choses désintégrées sont parfois plus belles que les choses lisses et propres. J’y vois la beauté de l’entropie. Nous allons nous mêmes redevenir matière, poussière : l’univers entier tend vers cette dissolution, ce moment ou les éléments se diluent et ne sont plus rassemblés. »
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Eglise bato bon
« C’est une image rêvée, une vision fabriquée. Elle relie l’eau, le bateau, et la beauté de l’église. Je n’ai pas envie de décortiquer l’envers de ces photos, il faut que les gens se les approprient – leur explication sera toujours meilleure que la mienne, puisque c’est ce qu’ils ont ressenti. Il n’est pas forcément nécessaire de comprendre comment ces photos sont faites, il faut les laisser pénétrer son inconscient, car au fond, ce qui rend les choses importantes dans l’art, l’inconscient. On essaye souvent de comprendre comment j’ai fait ces photos, mais aucun artiste ne sait comment il fait. Comment Paul Gauguin [célèbre peintre post-impressionniste du XIXème siècle, ndlr] trouve ses couleurs ? Il ne les trouve pas, il les fait. Et on aime Gauguin parce qu’en en voyant ses peintures, on est touché ailleurs que dans notre rationalité.
Mais cette photo m’évoque le mariage entre l’eau et la religiosité, un mélange improbable et en même temps évident. L’église est un lieu magnifique si on a la possibilité d’y entrer avec autre chose que simplement le clergé. C’est un lieu de méditation, pas forcément clérical. Ce bateau contient une forme de sacré : il porte des gens qui travaillent, qui ne sont pas des aristocrates, et apportent leurs propres richesses dans ce sanctuaire : leur travail, leur façon de communiquer. C’est un enrichissement de l’église, qui n’est pas toujours au top de son enrichissement ! »
Animal étrange
« Cette technique de dessin est très pointue, exécutée avec un crayon graphite noir. Il représente un animal qui n’existe pas, dont j’ai voulu traduire l’intensité par la lumière, les traits saillants. Je n’ai jamais appris à dessiner, mais tout le monde est peintre dans ma famille. Cet animal incarne la diversité folle de la vie sur terre. Quand on regarde les poissons étranges des grandes profondeurs, les animaux du sol, on est saisi par la diversité du sol et de la mer. Il y a une espèce de folie de formes, dans les plantes, les feuilles, aussi bien que chez les humains. Prenez un flocon de neige. Depuis la nuit des temps, il n’y en a jamais eu un pareil à l’autre. D’une seconde à l’autre, ils ne sont plus pareil à eux mêmes. Pourtant, on sait que c’est un flocon.
Je suis fascinée par la dialectique entre la diversité totale et l’incapacité de refaire la même chose, l’unicité, l’idée de concept pour l’être humain. Par cette contradiction entre le familier et l’inconnu – on connaît cet animal sans le connaître. Une feuille est une feuille, c’est universellement une feuille. En même temps, il n’y a pas deux feuilles pareilles – tout est pareil mais rien n’est pareil. De la même façon, la lumière est à la fois une onde, et un grain de matière. Je ne supporte plus ce monde où on nous désigne les choses, où on nous dit : « C’est comme ça ». Moi je dis : « C’est comme ça et c’est aussi autre chose. » »
Coline Serreau, Photographies, dessins, aquarelles, jusqu’au 28 février à la Galerie Cinéma
La Belle Histoire de Coline Serreau de Coline Serreau, jusqu’au 25 mars au Théâtre-Michel