L’Amour à la mer (1964) sonde l’abîme qui sépare deux amants, un marin au sourire triste qui vient finir son service militaire à Brest et une secrétaire prise dans l’agitation et les fantasmes de Paris. Rêverie calme sur une relation qui s’étiole dans la distance, cette première œuvre de Guy Gilles (Absences répétées, Le Clair de terre) est à découvrir sur le site de LaCinetek.
Se trouver un lieu qui fasse suffisamment écho en lui, qui lui réponde, c’est toute la quête de Daniel, héros déboussolé, comme souvent dans les films du secret Guy Gilles, cinéaste un peu en marge de la Nouvelle Vague qui a réalisé des œuvres remuantes, d’un lyrisme abrupt. Dès ce premier long métrage (recommandé par Christophe Honoré sur LaCinetek), le cinéaste retrace les fracas discrets d’une fuite, fasciné par son éclat, faisant sentir aussi l’égoïsme de cette odyssée intime, à travers les impressions évasives de trois personnages. Daniel et Geneviève, mais également Guy, un jeune matelot ami du premier et incarné par le réalisateur lui-même…
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Daniel écrit à sa fiancée Geneviève près du pont de Recouvrance à Brest, quartier où autrefois les marins venaient prier pour leur bon retour après un voyage en mer. Lui, tout juste revenu de la guerre d’Algérie, n’est pas au fait de cette mystique et n’a pas non plus tellement envie de retourner auprès de sa fiancée à Paris. Marin sans mission zonant dans une ville dure et blanche, reconstruite après les bombardements des années 1940 et dont Guy Gilles fait un portrait documentaire inspiré lorsqu’il s’aventure dans ses bidonvilles, Daniel ne sait pas très bien ce qu’il vient chercher là. Sans projeter aucune histoire, aucun fantasme, dans ces lieux neufs et bétonnés cerclés par la mer, il semble comme reposé de Paris, des signes qui s’y accumulent frénétiquement ou des marques du temps qui y sont inscrites. Geneviève l’y attend, mais s’éprend finalement d’un homme qui dit aimer les objets, les antiquités, justement pour les souvenirs…
Ce beau film évanescent nous interroge alors sur tout ce qu’on met dans un paysage, comment on le romantise ou non, et quel effet cela a sur nos exils intérieurs. La mise en scène de Guy Gilles, très découpée, morcelée par des détails très simples (le coin d’un visage aperçu au loin, une fenêtre cassée, le néon d’un bar…) insiste alors sur la mémoire affective qu’ont ses personnages des lieux qu’ils traversent. Lors d’une séquence de confidence, Guy raconte à Daniel le Paris vagabond et ambigu de sa jeunesse, qu’il considère autant comme une ville d’aventure que comme celle où il a eu froid ou faim. Daniel se souviendra de ce face à face à son retour dans la capitale quand, errant juste avant de mettre un terme à sa relation avec Geneviève, il croisera par hasard Jean-Claude Brialy ou Jean-Pierre Léaud, figures de cinéma remuantes et inespérées dans la nuit un peu maussade de Blanche et de Pigalle.
C’est peut-être aussi à ce moment là que l’attrait fantasmatique de Brest qu’il n’a pas su éprouver dans un premier temps se rappelle à lui. Au détour d’une rue parisienne, Daniel entend résonner les bribes en musique d’un poème de Jean Genet, Le Condamné à mort, auteur qui a su faire affleurer tout l’érotisme de la cité du Finistère dans son roman Querelle de Brest. Déjà la tête ailleurs, Daniel pense alors peut-être à Guy lorsqu’il entend chanter : « Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour, nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes. »
Le film est disponible à la location ici sur le site de La Cinetek.
Image de couverture : © DR