Quelle est donc cette bête tapie dans l’ombre que John passe son temps à attendre ? Car, il en est persuadé, la vie lui réserve un destin exceptionnel, pour le meilleur ou pour le pire. Comme dans la pièce de Samuel Beckett En attendant Godot, ce questionnement sur ce qui devrait arriver mais qui ne semble jamais advenir ouvre un abîme qui plonge le personnage, et donc le spectateur, dans une réflexion qui le hantera bien après la fin du film.
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Il fallait tout le talent de Sami Frey et de pour donner corps à ce mystère, et pour rendre cette attente passionnante. Dans la haute société anglaise de la fin du XIXe siècle, John et Catherine se retrouvent par hasard dix ans après leur première rencontre. Catherine, qui semble en savoir davantage que lui, écoute John se confier sur ce pressentiment qui le tourmente. Si, dans les mentalités de l’époque, seuls les hommes pouvaient connaître un grand destin, Catherine fait preuve ici d’une sagesse supérieure. Ce n’est sans doute pas un hasard si le metteur en scène franco-argentin Alfredo Arias choisit, en 1981, de confier ce rôle à Delphine Seyrig, grande féministe. Et si Marguerite Duras avait décidé d’adapter pour le public français cette pièce de James Lord, elle-même tirée d’une célèbre nouvelle publiée par l’Américain Henry James au début du XXe siècle.
Quelques années après la première de Sami Frey et de Delphine Seyrig conduite par Marguerite Duras au Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis, fait le pari d’adapter cette même pièce pour la télévision, en 1989, y apportant tout ce que les mouvements de caméra et le montage peuvent produire d’effets supplémentaires. Accompagnant discrètement les déplacements des personnages, isolant tantôt John tantôt Catherine pour mieux scruter les subtiles émotions de leur visage respectif, la caméra de Caroline Champetier (César de la meilleure photographie 2011 pour Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois) accompagne calmement la mélodie de dialogues magnifiquement écrits. Teintée de mystère, la musique de Carlos d’Alessio, filmé à son piano au début de certaines scènes, porte la voix toujours douce des deux personnages. Une œuvre hypnotique sur l’amour et le mystère de l’existence.
La Bête dans la jungle de Benoît Jacquot, sur Madelen