Fatherland de Ken Loach (1985, 110′, Allemagne)
Film unique dans la filmographie du cinéaste (Ken Loach y fait se rencontrer des acteurs britanniques et allemands pour jouer sur la barrière de la langue), Fatherland ne se départit jamais de l’élan politique et contestataire de son auteur.
Inspiré en partie de la vie du chanteur-compositeur allemand Gerulf Pannach – interprète du rôle-titre et compositeur de la bande-originale –, le film revient sur la vie de Klaus Dittermann, un musicien engagé originaire de la RDA et compositeur de chansons critiquant vivement et ouvertement le régime socialiste. Expulsé du pays afin d’échapper à la prison, Klaus franchit l’autre côté du mur et entame une quête identitaire : il doit retrouver son père, chassé du pays plusieurs décennies auparavant pour les mêmes raisons.
Dans une atmosphère morne et froide – qui renvoie par instants au Possession (1981) de Zulawski –, Ken Loach livre une réflexion globale, non sans cynisme, sur l’instabilité politique d’une société fracturée et divisée en deux camps, comme incapable de faire face à sa propre histoire. En complément, le critique de cinéma Thierry Jousse vous propose de refaire le film de Ken Loach avec lui en trois minutes chrono, dans une préface ludique et instructive. Sarah Jeanjeau
Pour voir le film et le documentaire cliquez ici et ici.
« Sorry We Missed You » de Ken Loach, un manifeste contre l’ubérisation
Zion et son frère de Eran Merav (2009, 77’, Israël)
Tout oppose Zion, jeune garçon sensible de 14 ans, et son frère aîné Meir, petit caïd despotique, tous deux élevés par une mère fantasque. Le jour où ils provoquent par accident la mort de leur voisin, un immigrant éthiopien, Zion garde le silence sur ce terrible secret qui va d’abord sceller leur connivence avant d’installer une méfiance mortifère…
Dans ce premier film épuré, l’Israélien Eran Merav adopte avec habileté le schéma de la chronique sociale. Influencé par le néo-réalisme italien, il capture avec fébrilité – caméra à l’épaule et gros plans agités – un noyau familial en train de se désagréger. Pour figurer le poids de la culpabilité qui empoisse ses personnages, le réalisateur multiplie les images cloisonnées, grillagées, d’un paysage urbain (la ville d’Haïfa) suffocant. Seule ligne de fuite et mirage impossible à atteindre : la mer, toujours présente en arrière-plan, entravée par des tours infinies. Au détour de cette histoire de fraternité brisée, dessinée à l’image par une gamme de couleurs grisâtres, on décèle l’amertume collective de la société israélienne L.A-S
Pour voir le film, cliquez ici.
I’m so-so de Krzysztof Wierzbicki (1995, 56’, Pologne)
« Tout le monde le connaît comme réalisateur. Tout le monde connaît sa biographie artistique, mais les gens le connaissent peu comme être humain. » En 1995, lors du festival « Sunny Side of the Docs », Krzysztof Wierzbicki, premier assistant de Krzysztof Kieślowski, décide d’inverser les rôles et de retourner la caméra sur le cinéaste de l’ombre.
De ses court-métrages d’étude, où il observait déjà avec un regard satirique la bureaucratie polonaise (Le Bureau) et les conditions de travail misérables des ouvriers (L’Usine), à sa collaboration avec le producteur Marin Karmitz qui aboutit à sa trilogie européenne Trois Couleurs : Bleu, Blanc, Rouge, ce docu donne la parole à un homme insaisissable.
D’un côté, un observateur indigné, habité par une conscience politique aigüe, toujours prêt à user de situations allégoriques pour critiquer la corruption des institutions. De l’autre, un homme plein de doutes sur la déontologie de sa démarche, qui renoncera peu à peu à sa pratique du documentaire par peur de s’immiscer trop profondément dans l’intimité des autres. Loin d’éclaircir le mystère Kieślowski – qui était lui-même plus adepte des questions que des réponses – ce docu passionnant nous balade au fil de son oeuvre universelle, au plus près de ce que l’humanité a de beau et de révulsant. L.A-S
Pour voir le film, cliquez ici.