Gerry de Gus van Sant (2002, 103’, Etats-Unis)
Deux amis prénommés Gerry, incarnés par Matt Damon et Casey Affleck, traversent le désert aride de Californie dans un but que le spectateur ne connaît pas. Incapables de retrouver leur voiture, ils continuent à pied dans la vallée de la Mort… Film existentiel aux accents beckettiens, Gerry est aussi l’un des films sur l’amitié les plus marquants du XXI e siècle. Avec cette errance conceptuelle, hantée par la peur de la mort et sur laquelle plane la menace de nuages lourds, Gus Van Sant démontre son génie de plasticien formaliste. Travellings étirés, temps dilaté, silences assourdissants : tout symbolise la fuite en avant de personnages à la recherche d’un mirage.
Gus Van Sant, force tranquille
Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais (2018, 75′, France)
Depuis qu’il s’est séparé de son compagnon, Frank, 45 ans, occupe seul leur maison, dans un petit village des Vosges. La retraite alsacienne, imaginée loin de Paris et de son train de vie exorbitant, a laissé place à la dépression et à une boulimie de longs métrages. Constitué d’une voix off à la première personne et d’extraits des centaines de films dévorés, Ne croyez surtout pas que je hurle est le carnet de bord de ce mal de vivre. On y croise pêle-mêle l’Euro 2016, les attentats, Scorsese et Nuit debout, dans le flot d’une litanie à la fois désespérée et poétique.
« Ne croyez surtout pas que je hurle », le ciné-journal bouleversant de Franck Beauvais
L’Ange bleu de Josef von Sternberg (1930, 124’, Allemagne)
Un professeur très autoritaire (Emil Jannings) sombre dans la déchéance en succombant à la passion dévastatrice qu’il éprouve pour une sulfureuse chanteuse de cabaret, Lola-Lola… Premier film parlant tourné en Allemagne, L’Ange bleu marque le début d’une longue collaboration entre Josef von Sternberg et Marlene Dietrich, qui vole la vedette à Emil Jannings. Choisie contre l’avis de la production, l’actrice embrasse ce rôle de femme fatale avec une force et une intelligence inouïe – c’est notamment elle qui imaginera ses costumes, dont le fameux porte-jarretelles à découvert. A revoir absolument, pour être témoin de la naissance d’une star, mais aussi pour savourer le style, teinté de baroque et d’expressionnisme, qui donne à cette histoire d’amour impossible une dimension cruelle et pathétique.
Blue de Apichatpong Weerasethakul (2018, 12’, Thaïlande/France)
Avant de se précipiter en salle pour découvrir l’hypnotique Memoria avec , on revoit ce court-métrage du cinéaste thaïlandais, qui a obtenu en 2010 la Palme d’or pour le fascinant Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Dans Blue, tout commence par une femme qui ne trouve pas le sommeil. Sur le drap de son lit se déclenche un feu, sorte de surimpression qui réverbère l’insomnie du personnage. Alors qu’il s’étend peu à peu dans un décor de jungle tropical, des toiles d’oeuvre apparaissent, comme de écrans de cinéma qui imprimeraient ses rêves… Lenteur moite, jeu sur les couleurs, confusion entre réalité et fiction… Ce petit bijou est un shot énigmatique et sensoriel.
Apichatpong Weerasethakul : « Pour moi, la caméra est un animal »