Il ne fait pas bon vivre dans les montagnes mexicaines du Guerrero rongées par les cartels, contre lesquels la police semble impuissante – quand elle n’est pas complice. Élevée par sa mère, Ana comprend dès l’enfance qu’elle vivra dans la peur. Celle de devoir se réfugier dans un trou pour échapper aux cartels, de voir ses parentes et amies assassinées ou violées, et d’être obligée de se couper les cheveux pour ressembler à un garçon et éviter d’être enlevée. Ses jeux avec ses deux amies dans les maisons désertées par ceux qui ont choisi l’exil ne sont qu’une fugace échappatoire. Les plans de caméra à hauteur de ses yeux d’enfant nous font ressentir de manière d’autant plus intense la violence des hommes.
Contrairement à son père, lâchement parti aux États-Unis, et que sa mère tente désespérément de joindre du haut de la seule colline où le réseau passe, Ana ne veut pas quitter sa terre. Apaisante, la nature est omniprésente et éveille tous les sens. Pour s’extraire de la violence, Ana n’a d’autre choix que de fermer les yeux, pour mieux écouter les bruits salvateurs de la forêt et des bêtes. Dans la nuit noire, les aboiements d’un chien suffisent à avertir du danger. Et rien de plus efficace pour jouer à deviner à quoi pense sa camarade que de coller sa tête contre la sienne…
La caméra légère de Tatiana Huezo tourne autour de ces corps entrelacés pour mieux faire sentir l’importance de cet autre sens qu’est le toucher. Ce contact est aussi une façon pour Ana de se reconnecter à une humanité en laquelle elle a besoin de croire pour grandir sans sombrer. Devenue ado, elle trouvera un peu de réconfort dans les bras d’un garçon, et dans les cours d’un professeur dont la douceur tranche avec la dureté du monde dans lequel elle évolue. Les leçons de ce maître prolongent la dimension animiste du film, lorsqu’il demande à ses élèves de former le corps d’un petit personnage à partir d’objets et de matières.
Le film joue habilement avec les éléments. L’eau froide du lac dans lequel plonge Ana n’en est pas moins réconfortante, contrairement au liquide empoisonné largué par des hélicoptères pour détruire les récoltes, brûlant la peau des villageois n’ayant pas eu le temps de s’abriter. Évitant un excès de symboles, Prayers for the Stolen (récompensé d’une mention spéciale dans la section Un certain regard à Cannes l’an dernier) trouve le juste équilibre entre de belles séquences contemplatives et des scènes de grande tension.
Prayers for the Stolen de Tatiana Huezo, sur Mubi