
Chaylla n’a pas encore 25 ans qu’elle se retrouve déjà en foyer pour femmes pour survivre à un compagnon alcoolique et violent qui, entre autres horreurs, la frappe et la rend responsable de la maladie de leur jeune fils, atteint de mucoviscidose. Suivie par un avocat bienveillant, Chaylla tente de s’extraire, de comprendre ce qui se joue, où se trouvent les limites de l’acceptable. Sauf que de l’intérieur, le choix est véritablement cornélien : enfant de la DASS ayant grandi en voyant ses parents se déchirer, incapables de s’occuper d’elle, elle se refuse absolument à reproduire le modèle. Alors Chaylla se remet avec le père de l’enfant, retombe enceinte… et la spirale infernale continue.
S’il documente une misère sociale qui enclenche les pires comportements, Chaylla ne tombe jamais dans le voyeurisme crasse. La caméra très sobre de Teper et Pirritano s’arrime au contraire à cette héroïne battante, volontaire et intelligente, qui n’a qu’un seul et unique cap : offrir le meilleur à ses enfants, quoi qu’il en coûte pour elle — quitte, même, à y passer. Épaulée par sa meilleure amie et sa belle-mère – qui l’a choisie elle plutôt que son propre fils –, Chaylla traverse les épreuves comme un personnage mythologique, dans une sorte d’odyssée psychologique qui lui permet peu à peu de se construire une place pour elle-même dans son imaginaire.
Avant de faire face à l’épineuse question de la justice dans les affaires de violence conjugale : comment prouver des agressions et humiliations intra-familiales régulières, souvent insidieuses ? Comment supporter l’idée que son vécu traumatique soit nié par les autorités habilitées ? Ce parcours, qui s’annonce comme une lutte sisyphéenne, se révèle plus lumineux que prévu, concluant sans toutefois glisser vers l’utopisme un documentaire exemplaire sur un sujet de tout premier ordre, particulièrement difficile à appréhender de l’extérieur.