Vu à Venise 2023 : « Aggro Dr1ft », entre incantation et ultraviolence rainbow

Après « The Beach Bum », sa comédie jamais sortie en France, Harmony Korine revient avec l’incroyable Aggro Dr1ft, épopée trollesque et élégie messiannique autour d’un tueur à gages bourrin. Entièrement tourné en infrarouges rainbow hypnotiques et tout en musique sursaturée, le film invente une esthétique pour les années 2020, aussi folle que mélancolique.


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Aggro Drift ressemble parfois à une cinématique hypertrophiée de jeu vidéo first person shooter aux accents heroic fantasy, mêlant live-action tourné en caméra thermique et animations 3d, tout ça passé à la moulinette d’une IA sanguinaire. Mais, bizarrement, le film a la solennité d’une prière – ravagée, certes. Et comme souvent avec Harmony Korine, on ne sait pas si ce lyrisme tient du premier, deuxième, quinzième degré – c’est même précisément ce qui le rend fascinant.

Korine pénètre l’esprit déviant d’un tueur à gages de Miami (l’acteur espagnol Jordi Mollà), alors que celui-ci part en quête pour abattre sa prochaine cible. Entre sa cruauté décomplexée, sa lubricité lascive, et ses élans familialistes embarrassants, sa voix off tourmentée nous assène un prêche extrême d’une voix aussi démoniaque qu’assourdissante. Mais la voie impressionniste que prend la narration, avec des scènes qui reviennent comme des boucles hypnotiques sur la musique violente et triste d’Araabmusik, transforme sa harangue en méditation hallucinatoire aux couleurs folles – un peu comme dans Spring Breakers, dernier véritable tour de force de Korine, et film-totem pour les années 2010.

On prédit qu’Aggro Dr1ft sera tout aussi emblématique, cette fois des années 2020. Pas seulement parce que son esthétique prend tous les atours de l’hypermodernité – technologique mais aussi politique, son héros étant l’incarnation parfaite d’un ultralibéralisme autoritaire et viriliste, pour qui le monde se divise en deux camps : les forts qui survivent, les faibles à abattre. Mais bien parce que Korine, en l’hystérisant, fait apparaître les forces contraires, séductrices et répulsives, de cet imaginaire claudiquant – entre bugs étranges, sensualité louche, et brutalité subjuguante.