ÉDITO – Soyons clairs, on n’a pas fait le choix d’une couv qui trancherait avec l’ambiance anxiogène de l’époque. Surgi de l’obscurité, voici Vincent Le Port, révélation du Festival de Cannes l’an dernier avec Bruno Reidal. Confession d’un meurtrier. Une plongée sidérante dans la psyché d’un assassin d’enfant, dans le Cantal, en 1905, quelque part entre (pour la rigueur implacable de la mise en scène), (pour l’étude froide du mal) et Marcel Pagnol (pour la peinture rocailleuse de la ruralité du début du XXe siècle). C’est un film difficile, d’abord parce qu’il nous place du côté du meurtrier : adapté d’un fait divers, il est construit à partir des Mémoires que le tueur, un séminariste de 17 ans, a écrits à la demande de ses médecins.
Vincent Le Port, esprit sauvage
Difficile aussi parce qu’il mêle la douceur (les paysages de nature en été, la voix fluette du héros) et la brutalité pour saisir le mal à hauteur d’enfant : le protagoniste apparaît successivement à l’âge de 6, 10 et 17 ans – un gouffre vertigineux rarement exploré par le cinéma naturaliste. Difficile encore parce qu’il nous confronte à un être qui est à la fois monstre et victime, pris dans une lutte contre ses pulsions.
Pour mieux aborder cette œuvre passionnante, nous l’avons montrée à la metteuse en scène Gisèle Vienne, qui ne cesse d’explorer la violence dans ses pièces radicales, et qui sort ce mois-ci une version cinématographique de l’une d’elles, Jerk – sur l’histoire vraie d’un Américain ayant assassiné vingt-huit adolescents dans les années 1970. Comment filmer le mal ? Que faire des monstres parmi nous – s’ils existent ? Et quelle violence dans le regard de l’artiste, et du spectateur ? Autant de questions qui éclairent notre époque et auxquelles ces deux grands artistes nous offrent de réfléchir. JULIETTE REITZER
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Un entretien avec les deux Grolandais Benoît Délépine et Gustave Kervern pour la sortie de leur satire jubilatoire En même temps (« On est des boomers, on ne pourra jamais s’en dépêtrer », nous ont confié en toute honnêteté les deux trublions). On a aussi discuté de désir enfoui, du pouvoir de l’intime et de la possibilité de renverser les regards par le cinéma avec Monia Chokri, pour la sortie de son conte ultramoderne Babysitter.
C’est également le grand retour de Gaspar Noé, qui a surpris tout le monde à Cannes l’année dernière avec son Vortex, bouleversante chronique de la vieillesse portée par les immenses Françoise Lebrun et Dario Argento. « Ce film, c’est l’histoire de deux solitudes partagées », a résumé le cinéaste, plus sensible et à fleur de peau qu’il ne l’a laissé paraître jusqu’ici.
On vous laisse découvrir les autres surprises qu’on vous a réservées.