Cet article fait partie du dossier DANS LA FÊTE, publié dans le magazine n°199. Retrouvez tous les autres en suivant ce lien.
Pour toi, quel signal renvoie l’arrêt de TRAX pour raisons économiques ?
Ces dernières années, il y a eu le Covid. C’est le moment où les clubs ont été qualifiés de « non essentiels », preuve que pour le gouvernement la culture de la fête est quelque chose d’un peu vain… Chez TRAX, on avait pas mal de stagiaires très jeunes – c’était le poumon du magazine. De leurs 18 à leurs 20 ans, ils ont vécu confinés. Ça a forcément influencé leur rapport au club. Il y en a qui sortent un peu plus forts, d’autres qui voient ça comme un truc pour les vieux. Un truc que je constate, c’est que si certains sortent moins en clubs, il se sont peut-être déportés vers des gros concerts qui sont comme des rites de passages. On voit maintenant des artistes qui font cinq ou six Bercy à la suite alors que les petites salles ou les petits clubs ont du mal à remplir les jauges.
La culture rave te semble-t-elle toujours aussi prégnante depuis son avènement dans les années 1980-1990 ?
Les raves et les free parties, ça a existé encore plus pendant le Covid, parce qu’il n’y avait que ça. J’ai l’impression que c’est devenu une esthétique majoritaire. Par exemple, l’artiste Eloi vient de sortir son nouveau clip pour le morceau « On fait du rock ». Pour qu’elle ait un côté subversif en disant qu’elle revient au rock, c’est bien que la culture rave à laquelle elle se rattache est devenue une base pour sa génération. Ce revival irrigue l’art, le cinéma, la mode depuis une dizaine d’années.
Avec quel héritage as-tu dû composer en arrivant chez Trax comme rédacteur en chef, il y a quatre ans ?
Quand je suis arrivé, c’était un peu le magazine officiel de la musique électronique. Il fallait défendre cette culture-là, quitte à parfois s’y enfermer un peu. Chacun a sa vision là-dessus, mais, moi, l’idée de défendre un patrimoine, ça me donne l’impression qu’on va devenir comme les papy rockers… Ce qu’on a essayé de faire, c’est plutôt de garder l’esprit lié à la culture électronique, avec des valeurs comme l’inclusivité, la bienveillance, l’émancipation par la fête et la nuit, et de prendre ça comme une grille de lecture appliquée à ce qui sort aujourd’hui.
Tu as mis en couv’ des artistes qui n’auraient jamais été dans TRAX avant. Jul, Gisèle Vienne, Mylène Farmer, Hamza… En quoi ça te semblait important et comment ça te semblait refléter la nuit d’aujourd’hui ?
De 2010 à 2015, il y a eu la vague de la trap, ce rap qui vient d’Atlanta. Elle s’est composée dans les clubs, pour les clubs. Pas les clubs à l’européenne, classe moyenne blanche, musique électro. C’étaient plutôt des clubs de strip-tease avec un public afro-américain dans les quartiers pourris d’Atlanta. Là, les gens se sont dit : « Ah, on peut mettre du rap en club ? » Maintenant, tout le monde utilise le mot « banger » pour un son que tu lâches en club et qui fait tout péter. Ça vient de là. Cette évolution fait qu’aujourd’hui, si tu parles de la nuit, les rappeurs ont leur mot à dire. Les guerres de chapelle d’il y a quinze ou vingt ans – « Si tu écoutes de l’électro tu ne peux pas écouter du rap » –, c’est fini, c’est même un peu boomer.
Dans l’équipe de Trax, on écoutait de la techno pointue, mais on écoutait aussi tous Jul. Depuis quelques années, les rappeurs vont aussi vers une esthétique cyberpunk, digitale, qui raccorde bien aussi avec une culture électronique… Mylène Farmer, ça correspondait aussi au fait que, dans les rares fêtes qu’il y a eu pendant le Covid, l’artiste TRYM a passé son remix de « Génération désenchantée » pendant une soirée Possession. C’était un des plus beaux moments de musique électronique de la période. TRYM est assez jeune, son public a découvert ce morceau et l’a repris comme un hymne dont les paroles « Tout est chaos » résonnaient bien avec l’époque.
Ta scène de club préférée ?
Les scènes de club au cinéma, c’est souvent un peu fake. Tout le monde danse de manière exagérée, on a l’impression que quelqu’un tient une pancarte « Montrez comme vous vous éclatez ! » Dans Dustin (2020) de Naïla Guiguet, ça me semble plus vrai. En général en club, les gens ne dansent pas vraiment, ils oscillent… Après, il y a des scènes de club caricaturales mais hyper satisfaisantes, comme l’ouverture de Blade 2 (2002) de Guillermo Del Toro, où la boîte devient un bain de sang. C’est intéressant parce que la BO, c’est de l’acid house, qui n’était pas tant répandue que ça quand c’est sorti.
Pour voir la web-série documentaire Auto-Tune. De Cher à PNL, le Photoshop de la voix, cliquez ici. Ci-dessous, un petit avant-goût :
Portrait : © Luca Thiebault