SCÈNE CULTE · « Nosferatu » de F. W. Murnau

Variation sur le « Dracula » de Bram Stoker, « Nosferatu » (1922) de F. W. Murnau est un film d’épouvante séminal et désormais centenaire – c’est aussi l’œuvre la plus emblématique de l’Expressionnisme allemand. On y suit un jeune couple pris dans les griffes d’un vampire (Max Schreck) arrivé de Transylvanie dans leur ville fictive de Wisborg. Dans cette scène lancinante, muette comme le reste du film, le réalisateur joue de clairs-obscurs tranchants pour peu à peu créer une terreur informe.


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LA SCÈNE

Aux barreaux de sa fenêtre dans une propriété abandonnée, Nosferatu épie d’un regard halluciné sa future victime. Dans la maison d’en face, Ellen dort dans son lit, tandis que son compagnon, Hutter, s’est assoupi sur un fauteuil. Sentant que la créature se rapproche d’elle, la jeune femme s’agite dans son sommeil, ce qui réveille Hutter. Constatant son malaise, presque sa transe, celui-ci sort chercher de l’aide. Nosferatu monte alors lentement vers la chambre de la jeune femme. Lorsqu’il entre, la griffe menaçante, Ellen tombe de frayeur.

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L’ANALYSE DE SCÈNE

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L’ouverture au noir fait surgir Nosferatu comme des limbes. Le quadrillage des fenêtres brisées auquel il se tient de ses longues mains crochues évoque ce motif propre à l’Expressionnisme allemand : la déchirure, signe d’un tourment. Au centre de l’image, toutes les lignes de fuite convergent vers le visage livide et fendu du vampire, qui se détache de l’obscurité du bâtiment en ruine où il a trouvé refuge, comme un trauma qui prend toute la place. Le plan suivant, en montage alterné, figurant Ellen se réveillant, renseigne sur le statut de cette image glaçante qui la hante alors qu’elle se lève et va ouvrir sa fenêtre face au logis du monstre.

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On est au cœur d’un cauchemar qui la persécute, même éveillée. Nosferatu entame une marche lente vers elle, que Murnau saisit dans un montage saccadé, achevant de la rendre plus effrayante, plus obsédante. Tandis qu’Ellen s’évanouit et que Hutter va chercher de l’aide, un plan nous montre l’ombre biscornue de Nosferatu monter les escaliers vers la chambre du couple. Au moment où la créature tend ses griffes, la main projetée sur le mur s’allonge. Et lorsque la silhouette des ongles de Nosferatu se resserre sur la mine épouvantée d’Ellen, comme si le vampire lui arrachait le cœur, il n’est plus un monstre mais l’angoisse pure qui dévore la lumière. On voit ce sentiment lancinant se tordre, comme s’il s’insinuait partout sans que l’on puisse l’attraper. Murnau donne alors matière à la part insaisissable des songes les plus sombres.

Nosferatu. Une symphonie de l’horreur de F. W. Murnau coffret Blu-ray + DVD, version restaurée (Potemkine)