Porté par la musique hypnotisante de Ry Cooder, Paris, Texas, le chef d’œuvre de Wim Wenders, lauréat de la Palme d’or à Cannes en 1984, s’ouvre sur l’immensité du désert texan. Au milieu de ce paysage hostile, Travis (Harry Dean Stanton, mutique), un homme disparu depuis quatre ans, erre sans but. Recueilli par un médecin après s’être évanoui, il retourne à Los Angeles avec son frère Walt, pour retrouver Hunter, le fils qu’il a abandonné il y a quatre ans. Quand il apprend que Jane (Nastassja Kinski, hypnotique), la mère d’Hunter vit au Texas, il part retrouver celle qui a un jour été sa femme.
Dans une cabine du peep-show où travaille Jane, les anciens amants se retrouvent, bercés par la lumière des néons et la sublime photographie de Robby Müller. Ils sont séparés par un miroir sans tain qui permet aux hommes de regarder les femmes sans être vus, tout en communiquant avec elles à travers un téléphone. Ce lieu logiquement propice à l’intimité prend ici des airs de parloir de prison, créant une première séparation évidente entre les deux protagonistes.
Tapis dans l’obscurité et submergé d’émotions, Travis ose à peine la regarder. De l’autre côté du miroir, Jane, toute de rose vêtue endosse le rôle que lui demande de jouer ses clients habituels. Derrière elle, un décor surchargé et coloré, digne d’une représentation théâtrale et qui contraste brutalement avec le dépouillement du décor très sombre dans lequel se trouve Travis, soulignant sa vulnérabilité face à Jane mais accentuant l’écart qui s’est creusé entre les deux personnages.
Jane incite l’homme qu’elle ne voit pas à se confier à elle : “If there’s anything you want to talk about, i’ll just listen alright ? I’m a real good listener” (S’il y a quelque chose dont tu désires parler, je t’écouterai, ça te va ? Je sais très bien écouter). Mais face à cette femme qu’il a tant aimé, Travis reste prostré dans un silence mélancolique, avant de laisser éclater sa jalousie qui a ternis leur relation passée. Wim Wenders souligne l’impossibilité des retrouvailles de ces deux êtres en les maintenant dans deux plans différents à chaque instant. Optant pour la technique du surcadrage lors de l’élan de jalousie de Travis, le cinéaste les sépare plus encore et renvoie Jane à sa solitude en la montrant dialoguant avec son image, transformant la cabine du peep-show en un véritable lieu d’introspection et de confession.
Chargée d’une douceur nostalgique, cette scène est le point culminant de l’œuvre ultra sensible du cinéaste allemand, dans laquelle il est avant tout question de la puissance destructrice de la fin d’un amour, et de la difficulté des individus à communiquer. Étape incontournable du road trip de Travis vers la rédemption, elle le conduira enfin à accepter la vérité sur sa relation avec Jane, assumant sa jalousie maladive et son alcoolisme dans une seconde scène beaucoup plus sombre – mais tout aussi sublime.
Faisant de Nastassja Kinski une véritable icône – convoquant indéniablement l’image mythique de et de sa robe rose fushia dans le film Les Hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks (1953) -, cette scène hors du temps permet aussi à Wim Wenders de continuer son exploration de l’imaginaire américain en passant de l’aridité des déserts aux espaces clos et colorés des cabines peep-show dans un grand film bouleversant.
(c) Tamasa Distribution