Ce vendredi 24 juin, après plusieurs semaines de négociation, cinq juges sur neuf – dont trois conservateurs nommés par Donald Trump durant son mandat – ont voté en faveur de la révocation de l’accès à l’avortement, jugeant la jurisprudence de l’arrêt Roe vs Wade « totalement infondé dès le début ». Il établissait depuis 1973 l’avortement comme un droit protégé par la Constitution américaine. Concrètement, cette décision ne rend pas les interruptions volontaires de grossesse (IVG) illégales, mais délègue à chaque Etat le pouvoir de l’autoriser ou de l’abolir sur son sol.
« L’événement », un film puissant sur l’avortement dans la France des années 60
Face à ce revirement qui fait basculer les États-Unis vers une tendance réactionnaire, la cinéaste Audrey Diwan, dont l’adaptation du récit autobiographique d’ L’Évènement (Lion d’or à la Mostra de Venise en 2021) retraçait avec urgence la précarité et la violence de l’avortement clandestin d’une étudiante en 1963, douze ans avant que la démarche devienne légale en France, publie aujourd’hui dans les colonnes du média américain Deadline une tribune qui met en lumière la stérilité d’une telle décision.
« Les femmes ne cessent pas d’être libres, elles mettent leur vie en danger pour le rester. »
Elle y explique que cette prohibition bafoue symboliquement des décennies de lutte féministe et risque d’engendrer de graves fractures économiques et sociales, cristallisant la précarité et l’isolement de certaines femmes : « Nous ne devons pas nous mentir à nous-mêmes. Commençons par les faits. Nous savons tous que lorsque le droit à l’avortement est remis en question, la pratique ne disparaît pas : elle change de nature. Là où l’avortement est interdit, il devient clandestin. Les femmes ne cessent pas d’être libres, elles mettent leur vie en danger pour le rester. »
Audrey Diwan : « L’avortement est un sujet nimbé de tabous, et ce silence pèse très lourd »
La réalisatrice a évoqué la force d’incarnation du roman d’Annie Ernaux, capable de donner chair à l’expérience traumatisante de l’avortement : « On parle souvent de façon théorique de l’avortement clandestin. Je voulais en offrir une transcription physique et viscérale. Je me suis rendu compte que j’avais trop souvent pris part au débat sans savoir de quoi je parlais concrètement : la douleur, la solitude, le danger, les inégalités sociales. Parce que l’avortement illégal est beaucoup plus risqué quand on n’a pas l’argent pour le faire dans de bonnes conditions. Et il y a l’inégalité des sexes, bien sûr…
J’ai deux enfants, de treize et quatorze ans. Un garçon et une fille. Je les ai élevés en leur disant qu’ils étaient égaux entre eux. Je ne peux pas imaginer devoir leur dire le contraire, leur expliquer que j’ai eu tort, à mon fils qu’il reste libre, et à ma fille qu’elle ne l’est plus. Cette histoire me semble dystopique. » De nombreux artistes américaines, de Patricia Arquette à Viola Davis en passant par Jane Fonda, ont appelé le peuple américain à faire entendre sa colère – d’après une étude du Pew Research Center, 61 % des adultes aux Etats-Unis soutiendrait l’accès à l’avortement légal, révélant que l’opinion publique s’inscrit largement en contradiction avec la décision de la Cour Suprême.
Rappelons que dans la foulée de cette annonce, treize Etats américains conservateurs (Arkansas, Idaho, Kentucky, Louisiane, Mississippi, Missouri, Dakota du Nord et du Sud, Oklahoma, Tennessee, Texas, Utah et Wyoming) avaient déjà adopté ce que l’on appelle des « trigger laws », soit des lois « automatiques » permettant de rendre tout avortement illégal dès la décision annoncée ou dans les 30 jours suivants. Depuis que l’arrêt a été officiellement enterré, neuf de ces États, surtout situés dans le Sud et le centre, ont rendu l’avortement illégal : le Missouri, le Dakota du Sud, l’Oklahoma, l’Arkansas, le Kentucky, l’Alabama, la Louisiane, le Wisconsin et l’Utah.