Nouveau TROIS COULEURS : Alice Diop, cinéaste visionnaire

En couv’ : Alice Diop nous parle du sidérant « Saint Omer », Lion d’argent et Lion du futur à la Mostra cette année, qui reconstitue le procès d’une femme accusée d’infanticide pour mieux ouvrir à de vertigineux questionnements sur les mystères de la maternité et de la parole. Dedans : James Gray, Benoît Magimel, Valéria Bruni-Tedeschi, Bertrand Bonello et Christophe Honoré. Le magazine est dispo gratuitement en ligne et dans tous les mk2.


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Des garçons qui tapent dans un sac de boxe. C’est par cette image pleine de rage qu’on a découvert le cinéma d’Alice Diop, en 2016, avec Vers la tendresse, fiévreux documentaire dans lequel quatre jeunes hommes originaires de Seine-Saint-Denis se confiaient sur l’amour. Le film nous avait conquis pour sa manière visionnaire de déconstruire les clichés sur la masculinité, mais aussi pour sa forme, poétique, envoûtante, évoluant vers des séquences nocturnes hallucinées et s’achevant sur un jeune homme alangui dans un lit après l’amour.

« Saint Omer » d’Alice Diop

Sous le charme, on avait avidement remonté le fil de sa filmographie, se demandant si le titre de ce film pouvait servir de clé de lecture pour l’ensemble de l’œuvre. Son premier docu, La Tour du monde (2006), explorait par l’intime une tour de la cité des 3 000, à Aulnay-sous-Bois, où elle même a grandi dans une famille originaire du Sénégal. À rebours des stéréotypes, elle y montrait l’entraide, la diversité des vécus. En 2006, dans Clichy pour l’exemple, elle cherchait à « comprendre les raisons de la colère » des habitants de Clichy-sous-Bois après les émeutes déclenchées par la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, alors qu’ils fuyaient un contrôle de police, achevant le film sur une fresque colorée peinte par des enfants.

Alice Diop : « On dit “nous” sans savoir que cela exclut beaucoup de gens »

La Mort de Danton, en 2011, suivait le parcours de Steve Tientcheu, originaire de la cité des 3 000, pour trouver sa place de comédien dans le prestigieux cours Simon. En 2016, pour La Permanence, Alice Diop s’installait dans une unité de soins pour migrants de l’hôpital Avicenne, à Bobigny, filmant femmes et hommes venus y confier leurs souffrances dans l’espoir de les apaiser. Nous, en 2021, s’avançait comme une exploration sociologique et humaniste de la France contemporaine, le long de la ligne B du RER.

Il est peu dire que l’on attendait son passage à la fiction avec Saint Omer. Le film reconstitue le procès d’une femme accusée d’infanticide pour ouvrir, patiemment, par le prisme de l’intime, de la parole et du doute, des questionnements vertigineux et universels absolument bouleversants. « Je ne sais pas si c’est volontaire chez moi d’aller vers la tendresse, nous a confié la cinéaste, mais il y a l’idée de chercher une forme d’apaisement, de trouver en nous-mêmes le chemin pour continuer, qui soit moins douloureux. » · JULIETTE REITZER

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