Cet entretien a été réalisé en 2019, lors de la sortie du film. Nous le republions à l’occasion de sa rediffusion en ce moment, sur Arte TV.
Oh ! Paris est la cité mère / Paris est le lieu solennel / Où le tourbillon éphémère / Tourne sur un centre éternel ! / Paris ! feu sombre ou pure étoile ! / Où pour se nourrir de l’idée / Viennent les générations. « À l’arc de triomphe », Les Voix intérieures de Victor Hugo
« C’est très beau. Sur ce film, un des plus grands challenges a été de trouver mon propre Paris, une terre de fantasmes, de rêves, mais aussi d’angoisses. Quand je suis arrivé ici, j’ai eu l’impression que, d’une manière ou d’une autre, je me retrouverais seul, affamé, nu dans les bois. Le tournage de Synonymes m’a un peu guéri, mais je me suis demandé comment filmer cette ville visitée par des millions de gens et vue tant de fois au cinéma. C’est aussi le but du héros. Pour lui, la beauté de Paris, c’est une sorte de triche. Il veut arracher le cœur de la capitale et le bouffer. Quand il marche dans la rue tête baissée, il a le sentiment de découvrir le vrai Paris. »
Les autres fils des Achéens vinrent alors l’entourer et contempler la taille et la beauté admirable d’Hector : “Ah ! comme il est, Hector, bien plus doux à palper que lorsqu’il jetait, avec un feu ardent, l’incendie sur nos nefs !” » L’Iliade d’Homère
« Le mythe d’Hector est inspirée par ce passage dans l’Iliade. Je me suis demandé comment se déroulerait la mort d’Hector dans la vie moderne, si sa tête n’avait pas été traînée par un char mais par une bagnole ; pas sur le sable, mais sur la route ; pas près d’un palais, mais près d’un gratte-ciel. »
« Le Genou d’Ahed » de Nadav Lapid : tempête de sable
L’Institutrice © Haut et Court
Être un poète dans notre monde, c’est s’opposer à la nature du monde. Nira dans L’Institutrice de Nadav Lapid (2014)
« Je pense que le monde n’est pas poétique. Qu’il est concret, pratique, simple. En ce sens, la poésie est un acte d’opposition. Murmurer des synonymes dans la rue, c’est faire un acte de rébellion de manière très discrète. Quand les personnages élèvent leurs voix, c’est finalement l’aveu d’une situation d’échec. »
Le Policier © Bodega Films
La tranquillité est un mensonge. Le silence est une fange. Michaël dans Le Policier de Nadav Lapid (2012)
« Aujourd’hui, on fait souvent l’éloge de la tranquillité. Mon cinéma est plus inspiré par le bruit, le tumulte. Avec Synonymes, j’ai essayé de faire un film en vibration permanente, dans lequel l’âme du héros ne trouve l’apaisement ni dans son passé ni dans son présent. Il s’enfuit de l’enfer israélien mais fantasme un paradis français. On a comparé les scènes d’errance du film à des scènes d’action. Je suis assez d’accord. Il y a l’idée d’un cri continu. »
MODÈLES : Mouvement du dehors vers le dedans. (Acteurs : mouvement du dedans vers le dehors.) Entre eux et moi : échanges télépathiques, divination. Notes sur le cinématographe de Robert Bresson
« J’ai beaucoup lu Bresson. En général, au cinéma, on observe le personnage comme un spectateur, on reste à l’écart, dans le dehors. Je voulais que le film nous mette dans l’état du héros. Je ne comprends pas, par exemple, que la caméra, la perche, les lumières ne dansent pas en même temps qu’un personnage. L’idée que la caméra est un personnage en soi m’intéresse beaucoup.
Brute : personne qu’une violence exagérée, une totale inculture, un manque de subtilité rapprochent de l’animal. Synonymes : bête, sauvage, inculte. Dictionnaire Larousse
« C’est exactement l’idée que je me faisais des Israéliens en arrivant à Paris, et celle que Yoav se fait de ses compatriotes. J’ai grandi dans la bourgeoisie artistique de Tel-Aviv et, quand je me suis installé ici, j’ai rencontré un Français qui est devenu mon ami . Je me voyais comme une brute à côté de lui. Au début, j’ai voulu me débarrasser de ça, je pensais qu’il y avait une dichotomie culturelle entre la brutalité des Israéliens et le raffinement des Français. Mais j’ai réalisé qu’il pouvait y avoir une forme de poésie à cette violence. »
Liberté, égalité, fraternité. Devise de la République française, citée dans Synonymes
« C’est très subjectif ce que je vais dire – je ne suis pas sociologue –, mais il me semble que les Français, parce qu’ils ont inventé les plus belles valeurs du monde, s’attendent à ce que les autres suivent. Ce que je dis n’est pas de l’ordre de la politique, c’est plutôt de l’ordre de la pulsion, des émotions. Dans le film, quand Yoav hurle La Marseillaise, c’est une manière de chercher une France imaginaire. Il reprend cet hymne guerrier comme un chant de combattants, ce sont ses codes. Il voit la France comme une idée, comme l’action de monter en haut de la Bastille, le lieu d’une rencontre imaginaire entre Napoléon et Paul Pogba. Il ne la voit pas comme un pays. » *
Synonymes de Nadav Lapid, Copyright Guy Ferrandis / SBS Films
Portrait : Paloma Pineda pour TROISCOULEURS