Masterclass Laura Dern : « David Lynch est parvenu à voir toutes les femmes en moi, à saisir mon humanité dans ses nombreux mouvements »

Ce lundi 20 février, à l’invitation de la Cinémathèque française, l’actrice américaine, icône du cinéma de David Lynch, est revenue sur son cheminement avec le réalisateur, tout en évoquant son immense appétit pour la radicalité. Une masterclass couronnée par la projection en avant-première de « The Son » de Florian Zeller, dans lequel Laura Dern trouve encore un nouveau visage.


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La salle Henri Langlois était encore électrisée par la projection de Sailor et Lula, monument de David Lynch dans lequel l’actrice tient l’un de ses premiers rôles. Avec une ferveur totale – une fièvre presque –, Laura Dern a été invitée à s’approcher du micro de Frédéric Bonnaud et Bernard Benoliel. Parangon du cinéma indépendant américain – elle a parcouru les univers de David Lynch, Kelly Reichardt, Noah Baumbach, Alexander Payne, Peter Bogdanovich, Greta Gerwig… – et éternelle figure du Jurassic Park de Steven Spielberg (1993), Laura Dern semble trouver son élan de vie à chaque nouveau rôle. « Meryl Streep m’a dit un jour qu’elle avait la frousse à chaque recommencement ! Pour ma part, je suis à l’affût, non pas parce que je n’ai pas la reconnaissance nécessaire mais parce que j’apprends constamment, que l’aventure à venir m’exalte, même si l’inconnu peut être intimidant. »

En 1976, à 7 ans seulement, elle passe déjà du plateau de Complot de famille, ultime film d’Alfred Hitchcock, dans lequel figure son père Bruce Dern, à celui d’Alice n’est plus ici de Martin Scorsese, où s’illustre sa mère, l’actrice Diane Ladd, avec qui elle jouera d’ailleurs à de nombreuses reprises plus tard. « C’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse de la relation qui lie un réalisateur à son acteur, de cette mission qui les unit dans une recherche de vérité. À l’adolescence, j’ai toutefois appréhendé le métier d’actrice dans la souffrance [elle obtient son premier vrai rôle à 15 ans dans Ça plane les filles d’Adrian Lyne en 1980, ndlr], je me disais que mes parents étaient fous de s’infliger ça. Et puis j’ai rencontré l’actrice de théâtre Sandra Seacat, qui coachait Isabella Rossellini sur Blue Velvet [de David Lynch, 1986, ndlr]. Elle m’a transmis le don de l’art comme guérison, la croyance dans nos faiblesses comme remèdes. Ça a été ma maestra. » Disparue récemment, Seacat incarne l’importance de la « famille de cinéma » que l’actrice s’est très tôt forgée.

L’ÉPOPÉE DAVID LYNCH

La discussion se poursuit à la faveur d’une collaboration extrêmement singulière, dessinée sur quatre décennies, avec David Lynch. En 1990, le cinéaste lui confie le rôle de Lula dans son adaptation sur grand écran du roman Wild at Heart de Barry Gifford, Palme d’or à Cannes la même année. Un personnage aux antipodes de la jeune femme ingénue qu’elle interprétait dans Blue Velvet, face à Kyle MacLachlan, qui deviendra l’inénarrable Dale Cooper de Twin Peaks. « Ce choix dit beaucoup de choses sur David en tant que visionnaire, sur la façon dont il est parvenu à voir toutes les femmes en moi, à saisir mon humanité dans ses nombreux mouvements. Je me souviens qu’il m’avait lancé : “Lula, c’est le chewing-gum et le mystère.” » 

À l’orée du tournage, le réalisateur la convie à un dîner avec Nicolas Cage à Los Angeles, afin qu’ils approchent les rôles qu’ils s’apprêtent à endosser. « Au bout de 15 minutes, le bâtiment d’à côté a pris feu et s’est effondré. David a décrété qu’on avait trouvé là notre alchimie, la passion qui devait irriguer tout le film. Je vois cette histoire comme un personnage, nous interprétions un seul et même organisme : Sailor et Lula. »

Après ces deux films qui dialoguent autour de la notion d’innocence brisée avec, dans Sailor et Lula, une myriade de références au Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939), David Lynch retrouve Laura Dern en 2006 pour Inland Empire. « À quiconque aime le cinéma et souhaite en faire, ce film est fait pour vous ! », s’enthousiasme l’actrice à l’évocation du dernier long métrage du cinéaste, où elle incarne une multitude de personnages. Fatigué de l’industrie, Lynch finance lui-même ce film expérimental tourné en numérique puis converti sur pellicule, avec une prise de son directe, « au rendu brut, cru, que je trouve très beau », décrit Laura Dern.

Construit à partir du monologue d’une femme, Inland Empire, dans toutes les pistes qu’il explore, peut se lire comme une révérence au talent total de Laura Dern. « La façon dont David évoque les choses s’apparente au rêve, il donne toujours assez d’indications pour approcher le rôle, même si ça signifie… aucune (rires), ce qui a été le cas pour ce film. À un moment, je lui ai demandé combien de personnages j’étais en train de jouer ; il m’a répondu “quatre” ! Et puis un jour que je me tenais à l’extérieur d’un club de strip-tease vide, fatiguée, pas maquillée ; voilà que David me met un tournevis dans les mains [un motif récurrent et décisif du film, ndlr] me dit “Va t’asseoir au premier rang et regarde la danseuse”. Tout le film a été à l’avenant ! »

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Laura Dern dans Inland Empire

FAIRE FAMILLE

Récompensée de l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Marriage Story de Noah Baumbach en 2020, Laura Dern s’est également illustrée dans un certain nombre de séries, dont Enlightened de Mark White (le créateur de The White Lotus), Big Little Lies de Jean-Marc Vallée, mais aussi la saison 3 de Twin Peaks, dans laquelle elle donne corps à la fameuse Diane, dont on ne connaissait que la voix jusque-là. « David m’a confié qu’il avait le sentiment que c’était moi qui lui susurrais à l’oreille tout ce temps. »

Interrogée par un spectateur sur sa participation mémorable à la série Ellen en 1997, où elle campait le crush d’Ellen DeGeneres, l’actrice se remémore le coming out historique de l’animatrice et humoriste américaine. « Ce moment a complètement changé ma vie. Ça a été incroyable pour moi de soutenir Ellen à cet instant précis de son existence, de regarder cette femme adulte dans les yeux, de sentir sa main trembler dans la mienne, la peur la parcourir. J’en ai eu le cœur brisé et ne souhaite à personne de traverser cette épreuve. »

Et la salle de saisir dans l’émotion qui s’est installée sur scène l’importance que Laura Dern confère à la création de modèles, à quel point aussi elle se nourrit de figures du passé – à l’image de Bette Davis, Shelley Winters (Lolita) ou Ann Baxter (Ève) – comme de nouveaux regards. « Je suis toujours à l’écoute d’artistes qui offrent quelque chose de pur dans leur radicalité. » Quand on la questionne sur sa collaboration avec Jean-Marc Vallée, disparu prématurément fin 2021, elle se rappelle son envie furieuse, tant dans Wild (1994) que dans Big Little Lies (2017-2019), de lui faire tout essayer. « Au déjeuner, il me faisait tourner des scènes seule, on explorait les personnages avec une férocité que j’aime énormément. » Si, loin de tout formatage esthétique, l’actrice a beaucoup voyagé dans la plasticité de son visage, elle trouve chez Florian Zeller, qui la dirige dans The Son, en salles le 1er mars, un nouveau guide. « Il m’a accompagnée de manière géniale dans le rôle d’une mère en souffrance, dont la rage et le désespoir – que l’on a pu voir s’exprimer chez tant de mes personnages – sont cette fois-ci totalement rentrés », confie l’actrice, se fendant plus tard de quelques mots en français, cocasses imitations du réalisateur qui vient de rejoindre sa fascinante galaxie.