Décris-toi en 3 personnages de fiction.
Giulietta Masina dans Les Nuits de Cabiria de Fellini. C’est un film qui m’avait beaucoup émue quand j’étais petite. Elle m’a toujours fait pleurer. Elle avait l’air d’une gamine, en même temps d’une femme. Elle a la joie dans les yeux, l’espérance et en même temps la tristesse. Un côté clownesque. Une des deux filles des Petites marguerites de Věra Chytilová. C’est l’univers qui m’inspire, le surréalisme, la grâce de manger des gâteaux et de marcher dessus. Cette mise en place du jeu constant. Et Buster Keaton ! Je pense que le slapstick me hante, m’habite. C’est lié au corps, à la gymnastique, à la danse.
3 films dans lesquels tu aimerais vivre ?
J’aimerais être sur un tournage de Fellini, à la Cinecitta. Par exemple sur celui de 8 et demi. Être dans la poudre, les costumes, les décors, les mouvements, le son, le bordel. Ce serait la totale. Un western, parce que les westerns, ce sont les films qui m’ont bercée. Je me souviens de mon père qui venait me chercher à l’école et il y avait à la télé l’émission « La Dernière Séance », qui en passait toujours. Et ce que je préférais, c’étaient les westerns atypiques. J’aimais tellement la nature, les animaux… Je pourrais aussi rajouter Chantons sous la pluie ou Les Chaussons rouges de Michael Powell. C’est la magie du cinéma pour moi.
3 musiciens que tu rêverais de filmer ?
J’aurais adoré filmer Sun Ra, connaître l’expérience de ce personnage. Quelqu’un dont j’aime passionnément la musique, mais je ne suis pas sûre d’avoir envie de le filmer parce qu’il a déjà été filmé au meilleur moment de sa vie, c’est Bob Dylan. Après, en ce moment, depuis que je me suis réinstallée en France [née en France en 1976, Marie Losier a travaillé pendant vingt ans à New York, ndlr], c’est toute la scène du collectif La Nòvia que je découvre, avec des groupes comme Sourdurent. Ça m’intéresse énormément parce qu’il y a quelque chose de traditionnel, un art de la transe. Quelque chose qui me relie aussi à la scène américaine. Il y a une invention de la voix, une invention dans les instruments qui pour moi se prête aussi au cinéma. Je n’ai jamais filmé quelqu’un juste par amour de sa musique. Il faut qu’on se retrouve à un moment de création et d’amitié aussi. Et d’ailleurs, la seule fois où une j’ai eu une commande, j’ai senti une rigidité chez moi. Parce que j’aime que le temps fasse aussi le cinéma, que l’autre permette une aventure qui soit inattendue, profonde.
L’acteur ou l’actrice dont tu étais amoureuse à 13 ans ?
Barbara Stanwyck [actrice de l’âge d’or hollywoodien, apparue chez Frank Capra ou Billy Wilder ndlr]. Pour moi c’était elle, la cheffe, la lionne. Elle avait cette espèce de cruauté, de force de vie, d’énergie puissante. Et le visage le plus dingue au monde.
Un film à regarder à 3h du mat, une nuit d’insomnie ?
Cry Baby de John Waters!
3 flamboyants personnages du cinéma queer ?
Jack Smith, que j’ai adoré rencontrer au cinéma [acteur et réalisateur, notamment de Flaming Creatures, qui avait fait scandale à sa sortie aux Etats-Unis, en 1963, en raison de ses scènes homoérotiques, ndlr]. Taylor Mead, que j’ai connu à New-York et que j’aime vraiment, qui faisait aussi partie de l’entourage de Warhol. Divine, muse de John Waters qui est juste merveilleuse.
3 découvertes du Festival Film Villa Médicis qui t’ont remuée, émue ?
On a vraiment été touchés tous les trois [avec le réalisateur Pietro Marcello et l’écrivain Sylvain Prudhomme, autres membres du jury, ndlr] par la force du film de Rania Stephan, Le Champ des mots [le film a été récompensé par le Prix Villa Médicis du meilleur film, ndlr]. En soi, le film [qui met en scène un dialogue entre la réalisatrice et l’écrivaine syrienne en exil Samar Yazbekest, ndlr] est un patchwork visuel. Habituellement, je n’accroche pas du tout à ça. Mais la puissance brute du personnage, ce que le film dit de l’exil, la poésie, la grâce, la douceur, le rapport entre la filmeuse et celle qui est filmée m’ont surprise.
Après, je suis tombée amoureuse des Aventures de Gigi La Loi [réalisé par l’Italien Alessandro Comodin, il a été récompensé à Locarno et à la Villa Médicis du prix spécial du jury. Il sort le 26 octobre en salles, ndlr]. Quelque part, il y a Fellini qui m’est revenu. Ce personnage [le réalisateur suit son oncle, un policier municipal, ndlr], il est excentrique, libre et inconforme à tout. J’aimerais bien que la loi et les policiers soient tous comme lui. Franchement, la vie serait bien meilleure.
Et puis en troisième je dirais Mangrove School [de Filipa César et Sónia Vaz Borges, ndlr] parce que c’est vraiment une histoire que je ne connaissais pas [le film suit de jeunes étudiants de Guinée-Bissau qui travaillent dans la nature, malgré la guérilla qui sévit autour, ndlr]. Et c’est dingue de filmer ces écoles dans les arbres. Malgré sa fragilité, c’est un très beau film sur la transmission et la résistance.
3 films trop peu connus à ton goût ?
J’aimerais tellement que tout le monde parle de films trop peu connus. Il y a Healthy People For Fun de Karpo Godina [directeur photo et réalisateur slovène, qui a notamment signé Artificial Paradise, présenté hors-compétition à Cannes en 1990, ndlr]. C’est un film d’une grande musicalité et d’une grande humanité. Et c’est assez dingue comment c’est monté et filmé.
Les films de George Kuchar, qui a été mon mentor [Marie Losier a filmé le cinéaste dans ses films Bird, Bath and Beyond ; Electrocute Your Stars et Eat My Make Up, ndlr]. Je conseille son film I, An Actress. Je crois que Criterion est en train de restaurer ses films, à lui et son frère Mike – ces deux frères jumeaux extraordinaires.
Et après il y a un réalisateur – je reste dans l’expérimental – qui s’appelle Ross McLaren. Un Canadien, qui vit aujourd’hui à New York, et a réalisé Crash ‘n’ Burn, un film underground punk. Et il a fait un autre film qui s’appelle Sex Without Glasses, qui est génial. Moi, j’ai eu une grande rencontre avec ce cinéma quand j’étais au Millenium Work Shop [un centre d’art indépendant, ndlr], en 1996, donc au début de ma vie à New York.
Et je sais que c’est par trois mais j’aimerais en rajouter un quatrième, c’est le cinéma de Joe Gibbons [auteur notamment du court Confessions of a Sociopath, et pionnier, dans les années 1970, des films expérimentaux tournés en Super8, ndlr], qui se met toujours en scène dans ses films, qui joue entre l’art et le cinéma, et qui est complètement frappé. Il ne finit jamais ses films, il passe sa vie à les remonter. Ce sont vraiment des bijoux.
Portrait : Paloma Pineda pour TROISCOULEURS