Comme beaucoup, on guettait d’un œil inquiet L’été dernier, premier film de Breillat en dix ans (après Abus de faiblesse et surtout ses sorties très discutables en réaction à #MeToo). L’autoproclamée cinéaste de la transgression qui s’empare du sujet de l’inceste et de la pédocriminalité ? La catastrophe était annoncée. C’est pourtant tout l’inverse qui s’est produit pour nous en découvrant ce récit d’une avocate réputée, Anne, mariée à un homme (toujours excellent Olivier Rabourdin) préoccupé par son travail au détriment de sa famille, et surtout de son premier enfant, Théo, 17 ans, dont il a récupéré la garde après l’avoir délaissé toute son enfance (et avoir adopté deux petites filles avec Anne).
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Elle qui s’est semble-t-il spécialisée dans la défense des enfants va pourtant franchir la limite ultime en commençant à coucher avec l’ado, projetant sur lui un désir parfaitement égoïste – et bien sûr abusif au possible. A coup sûr, la manière de filmer le jeune corps de l’acteur Samuel Kircher va beaucoup faire débat (est-ce Breillat qui l’érotise pour nous spectateur ou est-ce pour qu’on saisisse comment le personnage d’Anne l’érotise ?). Mais c’est à nos yeux seulement sur ce point que flotte le doute. Sur tout le reste, la cinéaste et sa mise en scène tranchent fermement : il s’agit de disséquer le plus finement possible les rouages de l’abus d’un adulte sur une personne mineure, s’autopersuadant en plus que la relation est équilibrée.
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On pense beaucoup à La Pianiste de Michael Haneke dans cette façon d’ausculter un personnage féminin froid et destructeur en essaimant de multiples indices sur les raisons de ses dérèglements : un abus dans l’enfance, une fascination de longue date pour l’écart d’âge, la frustration de ne pas avoir pu concevoir soi-même un enfant, la peur de vieillir ou tout simplement de l’ennui – Anne reproche à son mari d’être « normopathe », de ne pas savoir céder à l’excès, alors qu’elle-même semble totalement désincarnée. C’est d’ailleurs cette absence à son propre corps – peut-être par phénomène de dissociation, l’idée n’est jamais verbalisée – que l’on sent chez Anne à travers le jeu impressionnant de Léa Drucker qui permet aux scènes de sexe d’éviter ce terrible écueil, celui de verser dans l’érotisation sulfureuse.
Les angles pour filmer les rapprochements entre leurs corps sont savamment étudiés, mettant à chaque fois l’accent sur le décalage aberrant entre les deux et montrant parfois presque Anne comme un cadavre, couchée sur le dos la tête renversée en arrière et exhalant ce qui pourrait être aussi bien un orgasme que son dernier souffle. Quant à Théo, qui peut donner une impression de charisme, de maîtrise, de fougue nonchalante dans les scènes où il tente de séduire Anne, il y apparaît comme ce qu’il est réellement, un gosse déboussolé sous l’emprise d’une adulte qui le fait marcher à son pas.
Dans la deuxième moitié du film, la cruauté d’Anne éclate au grand jour et on pense alors aussi au cinéma de dans cette manière de décrire la violence terrible dont est capable la bourgeoisie – qui s’entraidera, se tiendra quoiqu’il arrive, et fera tout pour préserver conventions et faux-semblants. Breillat montre, encore une fois avec une grande intelligence de mise-en-scène, le pouvoir de manipulation et de destruction dont certains adultes sont capables sur des enfants, parfois seulement en remettant leur parole en question ou en refusant de voir. La cinéaste ne donne pas de réponse et encore moins de solution, mais elle ne laisse aucun doute sur la situation qu’elle décrit, celle d’une femme de pouvoir seule au volant de son emballement délirant et criminel pour un ado, qui sortira de cet épisode encore plus fracassé qu’auparavant. S’il en sort un jour.
Images (c) Pyramide Films
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