Le combat dans l’île d’Alain Cavalier (1961)
« J’étais tout nu et elle était parée, maquillée ». C’est ainsi qu’Alain Cavalier décrit sa rencontre avec Romy Schneider en 1961*. L’actrice a déjà séduit le monde avec ses grands yeux félins et sa peau de porcelaine ; lui est un illustre inconnu. Il la choisit pour être l’héroïne de son premier long, une histoire de triangle amoureux sur fond de combat politique d’extrême-droite, et métamorphose la petite impératrice autrichienne en la dénuant de ses artifices.
Face à Jean-Louis Trintigniant et Henri Serre, Romy Schneider impose une diction épurée, avec la clarté des grandes tragédiennes hollywoodienne – Greta Garbo en tête. Le style d’Alain Cavalier est sec, tendu. Mais au centre de ce film noir, baigné dans un clair-obscur épais, Romy Schneider irradie dans le rôle d’une femme qui refuse de laisser le bonheur s’échapper. A la fois grave et malicieuse, impertinente et romantique, l’actrice tourne définitivement le dos à son image de poupée pour s’ouvrir les portes du cinéma d’auteur et de la Nouvelle Vague. Léa André-Sarreau
*Dans le portrait que Jean-Pierre Limosin a consacré au réalisateur, Cinéma de notre temps : 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine, 1995
PORTFOLIO · Romy Schneider en lumière
Le Travail de Luchino Visconti, segment du film collectif Boccace 70 (1961)
Le jeune comte Ottavio (Tomás Milián) a été découvert en compagnie de call-girls. Craignant les réactions de son épouse Pupe, Ottavio est surpris quand celle-ci lui demande que ses faveurs conjugales lui soient désormais rétribuées au même tarif que demandent les prostituées…
Adapté d’une nouvelle de Maupassant, cet épisode du film collectif Boccace 70 se situe dans le milieu de la haute bourgeoisie oisive, où la sophistication des tournures cache mal la violence et la vacuité des propos. Romy Schneider erre donc dans ce très grand appartement encombré d’objets fastueux, incarnant à la perfection le « drame des apparences » cher à Visconti, loin sa période des Heimatfilm (films allemands pittoresques aux trames sentimentales désuètes). En incarnant une femme puissante et résolue, l’actrice dévoile au public une nouvelle facette de son jeu, très différent des minauderies de l’époque Sissi, révélant au passage toute sa dimension érotique. Cannelle Anglade
César et Rosalie de Claude Sautet (1962)
Rosalie, divorcée, vit avec César, un homme riche et beau parleur, qui exerce le métier de ferrailleur. Un jour resurgit dans sa vie David, dessinateur de bande-dessinée : Rosalie s’aperçoit qu’elle aime encore ce garçon réservé, l’exact contraire de César.
Romy Schneider donne ici la réplique à Yves Montand et Sami Frey, deux acteurs magistraux, dans ce triangle amoureux déchirant qui scelle la relation de l’actrice avec le réalisateur Claude Sautet, avant la consécration d’Une histoire simple. Lors de séquences où les trois personnages sont présents, Romy Schneider électrise à elle seule la scène, par sa présence incandescente et subtile. Elle donne à Rosalie une intensité et une fougue qui marque les esprits, en façonnant un personnage insaisissable, que son scénariste Jean-Loup Dabadie décrivait ainsi : « Ce n’est pas une emmerdeuse, c’est une emmerdée ». C.A
What’s New, Pussycat ? de Clive Donner (1965)
Michael James (Peter O’Toole), rédacteur en chef d’une revue féminine à Paris, est un séducteur invétéré, malgré son amour pour Carole Werner, dont son ami Victor est aussi épris. Lassée d’attendre que Michael la demande en mariage, Carole décide de donner de faux espoirs à Victor dans le but de rendre jaloux Michael.
Lorsqu’elle accepte le rôle de Carole dans cette comédie de mœurs américaine complétement loufoque, Romy Schneider a déjà joué les personnages graves et sérieux de Tchekhov au théâtre, et vient de tourner pour Orson Welles (Le Procès) et Otto Preminger (Le Cardinal). Selon ses propres mots, What’s New Pussycat ? est « un écart fou, tout à fou nouveau » dans sa carrière. Riant à en tomber de son lit, elle accepte le scénario très vite, dans l’heure suivant la lecture. Dans les situations totalement barrées du film, elle joue l’ingénue, à la fois tendre et mutine, avec facilité et auto-dérision. Elle rayonne avec esprit et se singularise aux côtés de Peter O’Toole, Capucine, Woody Allen et Peter Sellers. C.A
L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea (2009)
Romy Schneider, c’est aussi le visage d’un film maudit, celui qu’Henri-Georges Clouzot n’a jamais fini de tourner en 1964. Dans ce drame inachevé, l’actrice interprétait Odette, une femme séduisante dont le mari (Serge Reggiani) soupçonnait les écarts adultères. Soixante ans plus tard, les rushs muets et évanescents de L’Enfer ont été exhumés par Serge Bromberg et Ruxandra Medrea dans un splendide documentaire sorti en 2009.
Romy Schneider y apparaît vénéneuse, le corps enduit de paillettes et de maquillage, noyée dans des volutes de fumée de cigarette et autres fluides érotiques. Ici, l’actrice incarne un fantasme inaccessible, projection de la jalousie dévorante de son mari. Pour accentuer le charisme magnétique de son interprète, son pouvoir sensuel et libertin, Henri-Georges Clouzot a expérimenté des effets spéciaux modernes, inspirés de l’art cinétique de Vasarely, et mis au point un système d’animation visuel fait de plaques de couleurs métallisées. Résultat : Romy Schneider livre une variation troublante et spectrale sur le désir, portée par des images visionnaires qui collent à la rétine. L.A-S
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