Voix escaladant les octaves, de la soie murmurée aux entrailles expulsées, mimiques équilibristes, tour à tour enfantines ou grotesques, Aldous Harding est sur scène telle que sa musique : tout à la fois gracieuse et malaisante, suave et inquiétante. Produit par John Parish (PJ Harvey, Sparklehorse), Designer – et ses hits de folk-rock impressionniste aux clips jodorowskiens (« The Barrel », « Fixture Picture », « Zoo Eyes ») – a assis la notoriété de cette musicienne étonnante.
Métronomiques, spacieuses, hypnotiques comme un lent zoom sur un détail minuscule du paysage (ici une soudaine inflexion de la voix), ses chansons sont aussi mélodieuses et envoûtantes que leur sens est opaque : « look at all the peaches » (« regarde toutes les pêches ») ou « show the ferret to the egg » (« montre le furet à l’œuf »), nous intime-t-elle sur « The Barrel », entre autres images paradoxales qui traversent son album. Cette poésie cryptique finit par résonner à un niveau purement sensoriel, nourrie par les multiples changements de registres et d’incarnations de la chanteuse, tour à tour Kate Bush chantant du Will Oldham, Cindy Sherman affublée d’une guitare folk, Connan Mockasin grimé en Joni Mitchell.
L’album du mois : « One Twice Melody » de Beach House
Parfait contrepoint de cette personnalité extravagante, son groupe est aussi impassible qu’impeccable, tenant le rythme tendu, harmonisant avec mesure, apparaissant et disparaissant derrière la danse, la grimace ou la mise à nu de la grande originale, tout à son service. C’est d’ailleurs ses musiciens qu’elle met à l’honneur dans le clip de son dernier single, « Old Peel », laissant sa place au micro à une sorte de mime gesticulant d’Iggy Pop, qui finit par la porter sur son dos. Son groupe la porte, elle nous transporte.
le 9 mars 2022 au Trianon
Image (c) Clare Shilland