« Le documentaire de Wim Wenders est pour moi une archive précieuse », confesse Lubna Playoust. La réalisatrice de Chambre 999 a découvert le film du cinéaste allemand il y a plusieurs années sur YouTube. Cette nostalgique a alors pu se replonger à volonté dans les propos des réalisateurs qu’elle admire : Michelangelo Antonioni, Jean-Luc Godard ou encore Werner Herzog.
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« Le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ? » Cette question posée par Wim Wenders en 1982 dans Chambre 666 lui rappelle ses questionnements personnels. Curieuse de connaître les positionnements des cinéastes d’aujourd’hui sur les menaces actuelles (plateformes de streaming, nouvelles technologies, démocratisation des formes filmiques…), elle décide de s’en emparer.
En 2022, pendant le Festival de Cannes, elle convie trente cinéastes de tous horizons (Rebecca Zlotowski, David Cronenberg, Paolo Sorrentino…) à lui exposer leur vision de l’avenir du cinéma. Chambre 999, film miroir de Chambre 666, reprend des éléments de mise en scène déployés par le réalisateur de Paris, Texas. Chaque cinéaste se retrouve seul face à une caméra, une situation délicate pour certains, « parfois tétanisés à l’idée d’être devant la caméra car ils sont conscients de la puissance de cet objet », avoue la réalisatrice.
Le premier à se prêter à cet exercice est justement Wim Wenders. « Quand il est arrivé dans la pièce, il a tout de suite cherché ses repères. Il regardait où on avait mis la lumière, la caméra. Il m’a dit : “Elle est petite, tu as pu la cacher.” Elle n’était pas cachée, mais dans un recoin pour avoir un plan plus large. » Derrière lui, un écran de télévision flotte sur le mur. Une « présence fantasmagorique représentative de notre époque », selon la cinéaste, qu’elle a personnalisée en fonction des goûts de chaque intervenant : des contenus K-pop pour Baz Luhrmann, le réalisateur d’Elvis (2022), ou des vidéos d’animaux sur YouTube pour Ruben Östlund, Palme d’or à Cannes en 2022 avec Sans filtre.
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Soucieuse de leur offrir le plus de liberté possible – et éviter de prendre le risque de les influencer en restant dans la pièce –, Lubna Playoust a laissé les cinéastes dans la chambre avec la caméra (toujours au même endroit, en plan fixe), sans avoir de retour en image sur ce qu’il s’y passe. Une « contrainte créative » qui n’a pas été sans surprise, admet-elle. « Kirill Serebrennikov [le réalisateur russe de La Fièvre de Petrov (2021) et de La Femme de Tchaïkovski (2023), qui nous offre une séquence de danse insolite dans le film, ndlr] est sorti de la chambre en s’excusant. On a eu peur qu’il ait déréglé quelque chose, c’est la seule fois où on a regardé les rushs directement. »
Pour le reste des témoignages, la réalisatrice a choisi d’attendre l’étape du montage malgré ses appréhensions : « Je craignais que la réponse moyenne soit “Tout va bien, le cinéma ne va pas mourir”. C’est un réflexe, chacun a besoin de se rassurer, mais ce n’est pas forcément la vérité. » Heureusement, les cinéastes lui ont proposé une large variété de réponses, et, grâce à un montage éclairant qu’elle considère être sa réponse à la question posée par Wim Wenders, elle laisse à son tour une archive du paysage cinématographique de notre époque : « J’aimerais que le film soit un véritable outil que j’adresse aux jeunes pour le futur. Qu’il soit aussi riche sur le fond et la forme que l’a été pour moi le film de Wim Wenders. Et surtout qu’il ouvre une discussion. »
Chambre 999 de Lubna Playoust, New Story (1 h 25), sortie le 25 octobre.