Au commencement de Foudre, des peintures de paysages de montagnes valaisannes, puis des photographies des femmes qui y habitaient à la fin du XIXe siècle. Comme lors d’une séance d’hypnose, la réalisatrice suisse nous plonge en douceur dans cette époque avant de nous présenter son personnage principal : Élisabeth (merveilleuse Lilith Grasmug), engagée dans un couvent depuis ses 12 ans. Quand sa sœur aînée meurt brusquement, la jeune fille est rappelée auprès de ses parents pour aider à la ferme familiale. Au cœur de l’imposante nature du sud de la Suisse, elle se sent petit à petit étouffée par les villageois qui épient de près le moindre de ses mouvements. Jusqu’à la découverte des carnets de sa défunte sœur, élément déclencheur qui la pousse à explorer sa sexualité, dans une première scène envoûtante rappelant l’univers sensoriel des Hauts de Hurlevent d’.
Dans Foudre, il ne sera jamais question d’une simple rébellion adolescente, mais plutôt d’une réappropriation de l’éducation religieuse reçue pour y trouver une nouvelle lecture, moins répressive et plus lumineuse. Et si l’expression ultime de l’amour de Dieu passait par le désir charnel ? Carmen Jaquier développe cette thèse profondément humaniste dans un coming-of-age délicat, sublimé par la photographie de Marine Atlan, déjà à l’origine des éblouissantes images du Ravissement d’Iris Kaltenbäck (2023). En jouant habilement avec la saturation pour signifier l’évolution du désir d’Élisabeth, la cinéaste représente l’éveil de la sexualité adolescente avec une douceur sans pareille. Tout en pointant du doigt une religion qui cherche continuellement à contrôler le corps des femmes. À l’aide de dialogues parfois démonstratifs, mais toujours justes, illustrant les injonctions présentes dans la société à cette époque, Carmen Jaquier imagine le témoignage poignant d’une ancêtre inspirante, ouvrant la porte à un avenir meilleur, porté par la sororité.
Trois questions à Carmen Jaquier
Quelle est la genèse de Foudre ?
Il y a quinze ans, j’ai lu un article sur un groupe de jeunes qui s’étaient immolés par le feu dans la campagne allemande. Ça m’a donné envie d’écrire un récit sur l’adolescence. Pendant l’écriture, je suis tombée sur les carnets de mon arrière-grand-mère, dans lesquels elle parlait de son rapport à Dieu et de sa vie de paysanne dans le Valais. Ça m’a ouvert un monde et donné envie de situer le film à cet endroit et à son époque.
Votre film raconte aussi quelque chose de nos sociétés modernes…
On baigne toujours dans cette culture judéo-chrétienne. Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui avec le droit à l’avortement [sévèrement restreint dans de nombreux pays depuis 2022 dont les États-Unis et la Pologne, ndlr], on se rend compte que le corps des femmes est encore utilisé comme un outil d’écrasement, avec toujours cette idée d’empêchement.
Quelles étaient vos inspirations visuelles pour ce film ?
Du côté du cinéma : L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1965) et Lumière silencieuse de Carlos Reygadas (2007). Deux grandes inspirations pour l’écriture et le rythme du film, mais aussi pour la distribution. Je cherchais des visages avec une certaine modernité. Pour travailler le rapport du corps à la nature, central dans Foudre, je me suis aussi inspirée du travail de l’artiste américano-cubaine Ana Mendieta.
Foudre de Carmen Jaquier, La Vingt-Cinquième Heure (1 h 32), sortie le 22 mai
Image : © La Vingt-Cinquième Heure