Petit Spartacus de Sara Ganem
Avec son premier court, Sara Ganem signe un road movie à vélo, dont le montage euphorique et l’humour piquant portent une émouvante épopée intime.
Il y a un côté marabout-de-ficelle dans ce film autobiographique tout en chemins buissonniers, résultat vagabond de plusieurs années de voyage en solitaire à travers l’Europe. Sara Ganem y arpente la Grèce, la Hongrie ou la Serbie et, dans une course agitée avec son meilleur confident (son vélo qui parle, Spartacus). La réalisatrice y collecte des moments fugaces, des rencontres, des paysages, des galères, qui filent à toute berzingue. Dans ce collage, il n’y a rien de la joliesse ordinaire des habituels films de voyage. Il y a non seulement le ton drôle, acerbe et désinvolte de la voix off de Sara Ganem, la fantaisie foutraque de ses trouvailles visuelles (quand elle fait parler les dieux grecs sur ses cahiers d’enfants) mais aussi une forme d’impressionnisme à l’arrache, où la forme éparpillée laisse poindre des sentiments inattendus. Quand la cinéaste effrénée s’arrête pour confier des moments graves et douloureux de sa vie, la précipitation de son film nous entraîne dans de nouvelles directions. L’effet de saturation dans la forme, son art aussi du fragment et de la digression, expriment alors quelque chose d’une errance, d’une recherche, ce qui donne au film toute sa profondeur.
(c) GREC / Sara Ganem
Vu au FIFIB : « Maman déchire » d’Emilie Brisavoine, une enquête intime constellée de fulgurances
Les Sports X-Trem de Gio Ventura
Dans “Les Sports X-Trem”, le cinéaste Gio Ventura pose cette question costaud, vertigineuse : “Pour quelle raison vous musclez-vous?”
Recherche mystique? Kink? Esthétique? Acte révolutionnaire? Un peu tout ça et bien plus? En suivant ses personnages Lino et Loana suer tout en râles d’efforts lascifs dans leur ascension stéroïdée et poétique, le réalisateur (et acteur dans le prochain premier long d’Alexis Langlois, Les Reines du drame) queerise le bodybuilding avec force panache. Inspiré par une imagerie hyper stock (des himbos aux kiffeurs, en passant par les Muscular Christians, dont il nous a parlé dans le dernier article de notre rubrique Divine Gang, à retrouver ci-dessous), il nous donne accès à sa salle de muscu rêvée.
DIVINE GANG · Himbos, kiffeurs… Gio Ventura nous intronise dans le club des « Sports X-Trem »
After d’Anthony Lapia
Dans la furie techno ou dans une chambre feutrée, Anthony Lapia sait capter le mystère de ce qui rapproche les corps.
D’entrée, on sent quelque chose qui sourd, qui tend à éclater. Dans un dédale de parkings souterrains, un son techno comme étouffé et quelques rayons violets nous attirent vers un club qu’on imagine clandestin. Dans la suspension du temps et dans une danse acharnée, Anthony Lapia filme les visages en extase, capte les regards fuyants, les mines transpirantes et fatiguées, les tensions d’une fin de nuit. Sa mise en scène très sensorielle et immersive s’arrête plus longtemps sur Félicie (Louise Chevillotte) et Saïd (Majd Mastoura), une avocate et un chauffeur VTC, sur leur rencontre qui ne tient qu’au hasard et à l’électricité. Le cinéaste les suit dans un autre genre d’after, une discussion à l’aube, chez Félicie – avec la même sensibilité que dans le club, il parvient à saisir tout ce qui circule entre les mots. Vite, les deux parlent politique, du pouvoir aliénant en place. En montage alterné, Lapia fait alors des allers-retours entre l’appartement et la boîte, les situe dans une synchronicité retentissante entre l’indiscipline des corps en transe, et la mélancolie, le désir, la colère politique brassées dans la conversation entre Saïd et Félicie. L’aube finit par poindre et, dans des jeux de lumières éblouissants, Lapia lui donne l’éclat d’un embrasement.