« Évolution » de Kornél Mundruczó et Kata Wéber : le traumatisme en héritage

Le grand cinéaste hongrois Kornél Mundruczó (« White God ») signe pour la première fois un film avec son épouse, Kata Wéber, coproduit par Martin Scorsese, qui, en trois plans-séquences époustouflants, tire les fils d’une réflexion sur l’identité juive et le poids de l’histoire.


14fae43a 76fe 46df aad6 69c86d4d8c42 evolution

Un hangar désaffecté. Un silence de mort. Des hommes hagards. L’un d’eux tire une matière étonnante de la tuyauterie rouillée ; des cheveux, encore des cheveux. Tout droit sorties de notre mémoire collective, les images du Nuit et brouillard d’Alain Resnais (1956) reviennent en tête. À l’intérieur, les hommes déroulent cet étrange fil d’Ariane à mesure qu’ils dévoilent le refoulé d’une guerre qui vient de s’achever.

Tournée en plan-­séquence, la scène abasourdit par sa puissance d’évocation. C’est qu’on est face à une pure vision de cinéma ; entre poésie surréaliste et immersion documentaire, l’horreur surgit comme au premier jour. On doit ce tour de force à Kornél Mundruczó et Kata Wéber ; lui a réalisé plusieurs longs métrages, elle fut sa coscénariste sur White God (2014), La Lune de Jupiter (2017) et Pieces of a Woman (2020). Ce dernier film s’ouvrait d’ailleurs par un plan-séquence lors d’un accouchement. Passé maître en la matière, Mundruczó explore ce procédé sous toutes les coutures et dans une veine étonnamment intimiste.

Dans le premier segment, il s’agit de nous faire endurer un processus de dévoilement. Dans le deuxième, il s’agit de nous faire entendre le récit d’une rescapée. La fascination opère cette fois-ci à l’échelle d’un dialogue entre une femme et sa vieille mère, jamais reconnue comme juive faute de documents officiels. Sa seule preuve tient à la transmission orale, et, à la manière des films de Claude Lanzmann, la voici qui raconte les souvenirs de sa mère avant elle.

La Lune de Jupiter de Kornél Mundruczó : en apesanteur

Évolution montre une identité juive fondée sur ce mode de transmission et qui tient moins à un statut qu’à un héritage mémoriel hors du commun ; héritage rêvé, fantasmé, figuré par les cinéastes en deux temps superbement articulés et chargés en symbolique. La troisième partie est plus belle encore : à travers l’errance d’un ado berlinois aux prises avec son identité, elle pose la question du poids des traumatismes dans une Europe en pleine réinvention culturelle ; et place un espoir inouï dans une génération qui serait enfin délestée de ses démons, figurée par une escapade amoureuse en forme d’horizon consolant.

Image: © Dulac Distribution

Évolution de Kornél Mundruczó et Kata Wéber, Dulac (1 h 37), sortie le 18 mai