ÉDITO – Sommes-nous en train de devenir complètement idiots ? En ces temps préélection et pas encore post-Covid la question semble se poser, notamment au cinéma. Quentin Dupieux, visionnaire pape du non-sens, lançait le débat l’an dernier avec Mandibules et ses deux grands dadais décidés à dresser une mouche. Cet hiver, la comédie douce-amère Don’t Look Up d’Adam McKay empilait quant à elle les scènes d’anthologie dans le registre du déni de masse et de la décérébration des chaînes d’info. En salles début mars, le nouveau film d’Alain Guiraudie, géniale satire sensible, montre un immeuble entier plongé dans la paranoïa et les idées reçues sur « les Arabes », « les putes » et, surtout, « les jeunes » (à capuche, c’est encore mieux).
Et puis il y a ce film qui déboule, avec son titre vénère et son actrice aussi sublime que déglingue : Rien à foutre. Comme un slogan qui capterait l’époque. Adèle Exarchopoulos s’y engage tout entière, avec sa manière d’être à la fois très présente et un peu absente, au service d’un rôle de fille en jet-lag permanent, hôtesse de l’air low cost qui picole, clope, baise, rêve vaguement d’une vie à Dubaï et, surtout, ne pense à rien. C’est en tout cas ce que nous fait croire la première partie du film. Car la tragédie qu’elle fuit en s’abandonnant à ce métier dur et aliénant, le duo de cinéastes (Julie Lecoustre et Emmanuel Marre) nous la dévoile dans une seconde partie à la noirceur lumineuse. Le cadre s’élargit, le cliché se teinte de nuances, la parole se déploie, et la fille perdue retrouve un peu le sens de sa vie. · JULIETTE REITZER