Emmanuelle Laurent : « La comédie musicale est sans doute le genre idéal pour permettre au fantasme de faire irruption dans le réel »

Dans la comédie musicale « Cher Evan Hansen » (en salles le 12 janvier), un ado atteint de phobie sociale vit ses années lycée dans un climat d’extrême solitude. On a regardé le film avec la psychologue clinicienne Emmanuelle Laurent, qui tient la chaîne YouTube « Psychanalyse-toi la face ! » sous le pseudonyme de Mardi noir.


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Terrifié à l’idée de parler à qui que ce soit, l’ado du film est chargé par son psy de s’écrire des lettres à lui-même. Quel peut être l’objectif d’une telle mission ?

Ce jeune homme, qui n’a d’échange avec personne, doit tenter de prendre sa place, et le langage est une des clés – c’est lui qui permet de créer du lien. C’est de là que naît l’idée des lettres à s’écrire à soi-même : elles sont censées permettre de renouer avec le langage. En se parlant d’abord à lui-même, il se donne une chance de pouvoir tôt ou tard parler à d’autres personnes. Cette méthode est ancrée dans une façon très américaine d’appréhender les psychopathologies : le sujet est secondaire, comme dépossédé de toute responsabilité, et on ne cherche qu’à traiter le symptôme. Com­me s’il s’agissait de soigner une grippe.

Les numéros musicaux mettent en valeur le profond sentiment de solitude qui étreint le héros, y compris lorsqu’il est physiquement très entouré. Quand il chante, personne ne semble l’entendre…

On peut considérer cela comme une mise en scène de son fantasme. C’est une façon pour Evan de donner corps à ce qui se passe dans sa tête, à savoir cette impression de s’époumoner sans jamais être entendu. La comédie musicale est sans doute le genre idéal pour permettre au fantasme de faire irruption dans le réel.

Sans compter son psy, Evan ne parle qu’à une personne : sa mère, jouée par Julianne Moore. Cette relation est-elle susceptible de renforcer son enfermement ?

L’unicité de cette relation peut provoquer un étouffement. Rien ne vient faire tiers dans ce binôme. Ce qu’il y a d’intéressant dans la phobie, c’est qu’elle vient remplacer ce qui peut habituellement jouer le rôle de troisième sommet du triangle (un deuxième parent ou un autre adulte de référence). Le sujet crée une phobie afin de mettre à distance sa relation duelle, comme celle qui lie Evan à sa mère. Et c’est ce qui engendre de l’angoisse.

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L’adolescence constitue-t-elle un terreau de choix pour le développement de la phobie sociale ?

La phobie apparaît généralement au cours de la petite enfance, vers l’âge de 4 ou 5 ans. Il n’est pas rare qu’elle disparaisse ensuite pendant plusieurs années, pour émerger de nouveau au moment de l’adolescence, coïncidant souvent avec la puberté. Au lycée, les figures phobiques sont nombreuses. L’émergence du sexuel peut angoisser, ainsi que la proximité avec tous ces gens qui nous sont à la fois si semblables et si différents. L’imminence de l’âge adulte rend la socialisation d’autant plus complexe.

Image (c) Universal Pictures Germany

Cher Evan Hansen de Stephen Chbosky, Universal Pictures, 2h17, sortie le 12 janvier